La fille raconte ça le plus sérieusement du monde. Elle est au large de la côte mexicaine, elle flotte sur l’eau turquoise à bord d’un petit bateau. Surexcitée, elle poursuit des dauphins.
Pour les voir? Pour les étudier? Pour nager avec eux? Ben non, pour leur parler, Chose. Pour qu’ils la guérissent, mais on ne sait pas trop de quoi.
De sa crédulité, peut-être?
"J’ai maintenant le sentiment que nous sommes guidés. Je reçois du chef du groupe de dauphins une communication que quelque chose va se passer", raconte sans rire l’organisatrice du voyage, une "Art thérapeute de l’âme" qui propose des "aventures chamaniques" avec les dauphins sauvages dans la Rivera Maya.
Ça vous intéresse mais vous êtes sceptiques?
N’ayez crainte, la dame possède une solide formation en communication animalière, mais elle possède aussi un baccalauréat ès arts dramatiques, ce qui lui est sans doute fort utile.
On n’est pas très loin ici de ce gourou de la canalisation dont parlait La Presse la fin de semaine dernière. Lui permet à l’esprit du comte de Saint-Germain de se matérialiser pour donner des conseils à ceux qui acceptent d’ouvrir leurs goussets. D’autres se prétendent la réincarnation de la Vierge (je pense à la fondatrice de l’Armée de Marie, secte chrétienne boutée hors de l’Église il y a quelques jours), et puis il y a ceux qui proposent la guérison de soi grâce à la communication avec les animaux. Pour un peu plus de 2000 $, comprenant l’avion et l’hôtel, pourboires et offrandes aux chamans non inclus, rémission garantie.
Je vous jure, je n’invente rien.
Cinq minutes à zigonner sur le site Internet alchymed.com, sorte de portail consacré à ces béquilles spirituelles, et vous en découvrez toute une pléthore dans le genre. Cristaux, roches et autres gréements minéraux en vente dans les différentes "boutiques de l’âme", autoguérison, étude des rêves, réflexologie, numérologie, thérapie par le chant, pression dirigée et touchages en tous genres, relaxation holistique, voyages initiatiques, sexe tantrique menant à la vallée des sept ou huit orgasmes (rendu là, on ne compte plus)… Et pourquoi pas une entrevue avec l’idole des philosophes cheapos de la découverte de soi, Paulo Coelho, devenu millionnaire en écrivant d’insipides romans initiatiques dont les effarants chiffres de vente donnent un sens à la vie de son éditeur.
Bref, on y trouve de presque tout dans ce supermarché de l’esprit tourmenté, mais rien sur l’irrigation du côlon, qui semble être passée de mode.
Tout cela pour dire que l’industrie du mal à l’âme est florissante. Malgré les avertissements à propos des charlatans, des fraudeurs, des escrocs et autres crosseurs, à chaque coin de rue se poste un nouveau sauveur auquel on se colle en masse pour être un peu moins seul. Tiens, justement, au coin de Saint-Joseph et Du Pont, nouveau et immense local pour l’Église de Scientologie qui, comme à son habitude, recrute en proposant de mesurer gratuitement notre niveau de stress avant de nous vendre un exemplaire de La Dianétique.
– Vous êtes tendu, Monsieur…
– Ben kin, Ducon, t’as la main sur mon portefeuille.
Je disais que l’industrie du mal à l’âme prospère. Je pense avant tout à la pensée positive qu’on nous sert en permanence sur les rayons consacrés à la croissance personnelle dans les librairies, mais aussi au travail, à l’école, dans la santé. Pense positif, tu guériras ton cancer, ton asthme et tu banderas dur. Et n’oublie pas de dire bonjour à la vie en croquant dans ton brocoli.
Ce qui m’agace dans cette quête de sens, dans cette chasse au bonheur new age?
À part l’arnaque, le fric extorqué à ceux qui souffrent, c’est que quand je lis un truc sur le pouvoir de la pensée ou un article au ton pseudo-scientifique sur les rituels magiques, la supraconscience, les rôles-totems et l’impact des communications télépathiques avec les animaux, je me demande sérieusement s’il fallait absolument mettre Dieu à mort si c’était pour ensuite le remplacer par ce vaudou de pacotille, aussi cheap que la poésie de ti-nenfant dont on se sert pour le faire reluire comme un bonbon sucé.