François Rebello : Les cousins aux urnes
Société

François Rebello : Les cousins aux urnes

Quelles sont les leçons à tirer pour les partis de centre-gauche de leurs défaites au Québec et en France? François Rebello, vice-président du Parti Québécois, était à Paris pour le deuxième tour de la présidentielle. Voici ses impressions.

"Il y en a trop qui pissent sur l’identité de la France." C’est dans ces mots qu’un jeune écrivain français traduit crûment le sentiment de la vieille France. Cette France fragilisée par son échec à intégrer ceux qui sont d’origine africaine et maghrébine. Cette réalité, source de fortes tensions sociales, forge une demande citoyenne pour un retour aux "vraies valeurs". La seule réponse à cette demande est venue de la droite en France et elle a conduit à la victoire de Nicolas Sarkozy. Chez nous, bien que la crise soit moins aiguë, la question identitaire a quand même réussi à tenir le haut du pavé. Ici comme en France, le centre-gauche n’a pas réussi à offrir une réponse à ceux qui souhaitent affirmer leurs valeurs traditionnelles. Pourtant, à moins de confondre les valeurs progressistes avec des intérêts particuliers, rien n’empêche un parti de centre-gauche de promouvoir les valeurs traditionnelles chères à une société. La famille, le travail et la patrie ne s’opposent pas à la liberté, l’égalité et la fraternité. N’est-ce pas Jean-Jacques Rousseau qui, tout en légitimant la Révolution française, dénonçait "les moeurs corrompues par la civilisation"? Au moins sur quatre enjeux, le centre-gauche peut prendre avantage s’il sort de ses ornières: l’identité, l’éducation, le travail et la mondialisation. Malheureusement, ces quatre questions sont restées dans l’angle mort du centre-gauche.

L’IDENTITÉ

Alors que la question des banlieues occupe l’espace politique depuis deux ans, les Français ont élu un président qui se permet d’en rajouter. "On va vous débarrasser de cette racaille", promet Sarkozy qui, de surcroît, n’a pas pu mettre les pieds dans ces banlieues pendant la longue campagne électorale. Belle occasion pour la gauche de reprendre l’initiative? Encore aurait-il fallu que celle-ci propose une lecture du problème et des solutions crédibles. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la gauche a laissé à la droite le soin de proposer la mise en place de programmes de discrimination positive qui ont pourtant fait leurs preuves ailleurs. Avec un chômage effarant touchant même les diplômés universitaires, quelle autre solution peut réellement briser le cercle vicieux de la discrimination que de rendre imputables les employeurs quant aux embauches effectuées? Les socialistes se contentent pourtant de chanter les louanges de la Déclaration des droits de l’homme, refusant toute discrimination positive.

Chez nous, on s’en souvient, la question a été mise sur la sellette par Mario Dumont dans la foulée du débat sur la vitre givrée du YMCA. Celui-ci s’est contenté de porter un jugement général en dénonçant les "accommodements raisonnables", sans avoir à tracer la limite. Personne n’a demandé à Mario Dumont s’il était d’accord pour le port du voile dans les écoles. Pourtant, au même moment, les Pays-Bas décidaient d’aller aussi loin que d’interdire les visages voilés dans la rue. Le chef du Parti Québécois a réagi en dénonçant la démagogie de Mario Dumont. Puis a tenté de ramener le débat sur la laïcité en s’affirmant contre le crucifix dans les écoles. Tollé même dans les rangs du PQ: les Québécois veulent protéger leurs traditions. Ce n’est que plusieurs jours plus tard que le Parti Québécois allait reconnaître le problème et proposer l’adoption de principes d’encadrement des accommodements raisonnables pour chaque secteur des services publics. Comme le Parti Socialiste en France, le cousin de centre-gauche québécois n’a pas su bien exprimer sa sensibilité quand s’est annoncée une crise identitaire. Pourtant, en proposant la souveraineté du Québec, le PQ affirme haut et fort sa pleine confiance et sa fierté. Avec leur position craintive quant aux capacités du Québec de réussir seul, ce sont les fédéralistes qui doivent être sur la défensive sur la question identitaire.

L’ÉDUCATION

J’ai été frappé par le discours de Nicolas Sarkozy en faveur du retour de l’effort à l’école, de l’importance de faire lire les classiques aux jeunes. Sur le même ton, Mario Dumont a insisté sur le nécessaire transfert des connaissances qui est délaissé depuis les années 70 au profit d’une pédagogie molle qui handicape les jeunes générations. N’oublions jamais que les parents d’aujourd’hui ont souffert des nouvelles méthodes douteuses qu’impose depuis 30 ans le ministère de l’Éducation aux enseignants. Pourquoi pensez-vous que les parents de la classe moyenne choisissent de plus en plus l’école privée?

Parce qu’il ne privilégie pas les baisses d’impôt, le centre-gauche offrira plus de moyens à l’école. C’est d’ailleurs sur ce point que la droite n’est pas consistante. Mais la qualité n’est pas qu’une question d’argent, c’est aussi une question d’approche. Il est temps que le centre-gauche parle de qualité, de discipline et d’exigence à l’école publique s’il veut regagner la confiance des familles.

LE TRAVAIL

"Les Français ne travaillent pas assez." Comme Lucien Bouchard, Nicolas Sarkozy ne se gêne pas pour l’affirmer. Il sera le président de ceux qui travaillent dur. Il dira qu’il faut encourager les heures supplémentaires en les détaxant. Mais il n’ira pas jusqu’à éliminer la règle des 35 heures parce que le chômage diminue depuis l’adoption de cette loi. La gauche, pour sa part, a de la difficulté à proposer de nouvelles avenues. On se limite à renvoyer les enjeux aux partenaires sociaux attablés dans le cadre de sommets, risquant ici d’engendrer des décisions qui ressembleront davantage à la somme des intérêts particuliers qu’à l’incarnation de l’intérêt général. La concertation est une bonne chose mais elle ne doit pas servir à déresponsabiliser les élus du peuple.

Au Québec aussi, la classe moyenne a l’impression de tout porter sur ses épaules. De ne pas avoir droit à des services publics à la hauteur des taxes payées. Pourtant, avec les garderies à 7 $ et les congés parentaux à 70 % du salaire, le soutien aux familles s’est amélioré lors du passage du Parti Québécois. Mario Dumont aurait versé son 100 $ par famille sans combler le besoin urgent de 20 000 places en garderie. Devant cette attitude anti-garderie, le Parti Québécois aura à faire connaître l’autre côté de la médaille de l’approche Dumont. Avant d’envoyer sans discernement des chèques de 100 $ aux familles, il vaudrait mieux régler le problème de ceux qui n’ont pas de place en garderie.

LA MONDIALISATION

Face aux délocalisations d’emplois qui insécurisent la population, la seule politique d’intégration économique responsable en est une qui exige une complète réciprocité ainsi que l’application de normes sociales et environnementales. La gauche française propose l’instauration d’un salaire minimum européen. C’est bien, mais ça ne règle pas le problème de la concurrence du reste du monde. C’est Sarkozy qui a surpris en reprenant l’idée de Jacques Chirac d’imposer une taxe carbone à tous les pays refusant d’intégrer le marché des crédits carbone tel que le prévoit le protocole de Kyoto. Maintenant qu’il est président, il doit livrer. Ce sera à la gauche française de se montrer championne de cette approche en fixant les objectifs à atteindre avant chaque round de négociation.

Au Québec, le centre-gauche n’a pas joué suffisamment son rôle de chien de garde de l’intérêt québécois dans les négociations sur l’intégration économique. Il y a bien eu le Bloc pour ramener ces enjeux sur la place publique. Mais outre le débat sur Kyoto, le PQ n’a pas su ramener ces discussions au parlement québécois.

Alors que les libéraux se gargarisent de viser les objectifs de Kyoto, le transport en commun se développe à la vitesse d’une charrette à boeufs. Comment pouvons-nous prétendre atteindre Kyoto si la tendance à la hausse du nombre de voitures se poursuit? Pourtant, vous rappelez-vous ce que le PQ a proposé de plus que les libéraux en matière de transport en commun?

Quant à la stratégie de formation de la main-d’oeuvre, la gauche manque encore l’occasion de prendre le leadership. Alors que tous reconnaissent l’importance d’améliorer la formation professionnelle, les programmes politiques sont imprécis en la matière. C’est la droite de Sarkozy qui encore une fois a été la plus claire sur cette question: il créera 190 000 places en apprentissage de métiers. À l’échelle québécoise, c’est 25 000 places… Que proposera le PQ à la prochaine élection?

LES DÉFIS DU CENTRE-GAUCHE

Si je suis resté au PQ, c’est parce que je crois aux capacités du Québec de devenir indépendant. J’y suis aussi parce que nous sommes le parti du progrès social. Ces deux principes constituent le socle du Parti Québécois et doivent le demeurer. Mais la confiance du peuple ne se regagnera pas sans efforts et sans écoute. Ségolène Royal souhaite poursuivre ce qu’elle et son collègue Arnaud Montebourg appellent la rénovation de la gauche. En France comme chez nous, le centre-gauche doit proposer un véritable plan dépassant la langue de bois et répondant aux questions de l’heure s’il veut battre la droite.