Colocation : Cent domiciles fixes
Colocation, c’est l’interpénétration de deux milieux qui ne sont pas a priori portés à se mêler. Quand l’art s’humanise et conquiert la rue…
Pendant tout un mois, du 17 mai au 14 juin, des gestes à connotation artistique seront posés par les différents artistes – Devora Neumark, Stéphane Boulianne, Claudine Cotton, Virginie Chrétien et Véronique Bouchard – associés à l’événement Colocation, qui lance la programmation 2007-2008 du centre d’artiste Espace Virtuel qui répondra au thème Dans ma localité. Pour ce premier projet d’envergure, les artistes participants sont invités à rencontrer des sans-abri "établis" dans la région.
Une première rencontre a eu lieu le 8 mai dernier entre les artistes, les sans-abri ainsi que les intervenants de la Maison d’accueil pour sans-abri de Chicoutimi et du Séjour Marie Fitzbach, un organisme sans but lucratif qui offre un hébergement pour des femmes en difficulté. En tout, c’est 13 858 nuitées que les deux organismes ont conjointement offertes à des personnes dans le besoin en 2006.
"Ce sont des gens qu’on a envie de découvrir, affirme d’entrée de jeu Marie-Hélène Leblanc, directrice d’Espace Virtuel (EV). C’est une façon pour EV de s’humaniser un peu, de sortir de cette espèce de tour d’ivoire virtuelle."
Dès le départ ont été établies les règles auxquelles les artistes s’astreindront de bonne grâce: "Ce n’est pas un spectacle. C’est sûr que tu peux passer sur la rue Racine et voir Claudine Cotton faire une action, ça se peut. Mais on ne veut pas tout publiciser. C’est déjà difficile de travailler avec ces gens-là, ils ne veulent pas toujours être vus, ni reconnus…" explique la directrice. Cet état de fait est corroboré par Sylvain Plourde, coordonnateur de la Maison d’accueil pour sans-abri de Chicoutimi, qui explique ainsi les raisons pour lesquelles des personnes choisissent l’errance dans la région: "On vient pour recommencer une vie, refaire son histoire… On vient pour se faire oublier, aussi." Donc, personne ne deviendra monstre de foire, et les actions des artistes préserveront le caractère intime et discret qui est de mise dans le climat de confiance qui déjà s’établit entre les différents acteurs de l’événement.
"C’était bien important pour nous que les artistes ne travaillent pas sur les sans-abris, mais avec eux, précise Marie-Hélène Leblanc. C’est vraiment un projet de collaboration."
Pour les artistes qui participent au projet, aucune certitude n’est possible, ce qui n’est pas sans rappeler le vécu de l’itinérance. Lorsque le quotidien ne peut s’ancrer sur une véritable routine, il faut accorder toute notre confiance à la vie.
"Je suis un peu embêtée de tout ça, avoue Véronique Bouchard, l’une des artistes associés à l’événement. C’est l’une de mes premières collaborations avec des gens qui ne sont pas issus du milieu de l’art, avec du "vrai monde"…" Authentique, elle souligne non sans une certaine inquiétude les difficultés éthiques que soulève le projet: "On va se mêler de leur vie, d’une certaine façon, se retrouver chez eux, dans ce chez-eux temporaire qu’ils ont… Est-ce qu’ils en ont envie? Qui sommes-nous pour le faire?"
Mais le projet était déjà en branle au mois de septembre, et les intervenants des deux centres d’hébergement ont préparé le terrain auprès de leur clientèle. "La première façon de collaborer, pour nous, c’est d’ouvrir le milieu aux artistes, explique Sylvain Plourde. Il appartient ensuite aux artistes de rentrer en contact avec eux, que ce soit pour faire de la photo, recueillir des histoires de vie…" Fort de ses 17 ans de travail communautaire, il prodigue aussi ses conseils aux artistes, dont celui de privilégier des rencontres plutôt informelles. En fait, il encourage à envisager le projet avec une grande lucidité. Les gens à qui le destin a fait fausse route au point de les laisser itinérants vivent souvent une situation de crise qui relègue ce genre de projet au dernier rang des priorités. "Je peux engager la ressource, mais pas les gens qui fréquentent la ressource."
Un défi important, donc, pour tous les participants, celui de créer au gré de l’errance.
À voir si vous aimez
État d’urgence, de L’Action Terroriste Socialement Acceptable (ATSA)
Karen Spencer
Homelessnation.org