Paraît-il qu’on mène ces jours-ci une campagne de salissage des cyclistes sur les ondes d’une radio de Québec. Il s’agit évidemment d’une fréquence qui fait tilter mon minable-o-mètre avec persistance et, chaque fois que je l’écoute, je me surprends à hurler comme un putois ou à molester le volant de ma voiture.
C’est un des mes nombreux côtés mononcle: je parle aux choses. Surtout aux choses qui parlent. Ma télé, ma radio. Les macaques qui y causent. Cela me fait parfois le plus grand bien, pour d’évidentes raisons d’hygiène mentale, sauf que ce n’est pas aussi bénéfique pour la pression artérielle. J’ai beau faire des tonnes de sport, de la course à pied, du vélo, m’enorgueillir d’être arrivé le premier de mon groupe en haut de la voie d’accès du Mont-Sainte-Anne dimanche dernier, je fume encore un peu trop et tente de vérifier à répétition si le stress et l’angoisse sont solubles dans la vodka-tonic ou le rhum-coke. Donc, pour la pression, par prudence, je sélectionne idéalement les émissions que j’écoute pour leur faible potentiel d’insulte à l’intelligence.
Tout cela pour dire que je n’ai pas besoin d’écouter les lignes ouvertes ou les commentaires des animateurs pour savoir de quoi il retourne. On devine déjà les vomissures: y nous coupent, les enfoirés, y font pas leur stop, prennent toute la place sur la route, se tiennent même pas au bord, roulent un à côté de l’autre, etc.
Sauf que le problème sur nos routes n’a rien à voir avec le cyclisme, ô bienheureux souverains du bitume, mais a tout à voir avec la totale absence de civisme qui nous caractérise. Car dès qu’il emprunte la route, le Québécois se transforme trop souvent en enfant gâté, étourdi, sans égard pour l’autre, soit-il piéton, cycliste ou automobiliste. Enragé ou endormi sur la switch, le conducteur fait preuve de la même débilité, du même insupportable nombrilisme. Comme si le petit connard qui sommeille en nous s’éveillait soudainement derrière un volant.
Des exemples? J’en ai au moins un million. N’en prenons que trois si vous voulez bien.
Tous les jours, ou presque, je sors du stationnement intérieur situé sous l’INRS, juste à côté de mon bureau. Pas le choix, en sortant, de bifurquer vers la gauche pour ensuite emprunter la rue de la Couronne, où m’attend un arrêt obligatoire. C’est là que le party commence. Bien sûr, il arrive, comme par miracle, que l’on tombe sur un animal plus civilisé que les autres, et qu’il nous fasse signe de passer devant lui, mais c’est rarement le cas. Alors, il faut littéralement se pitcher devant la voiture qui déboule vers l’intersection pour qu’elle n’ait plus d’autre choix que de vous laisser passer. On s’échange un majeur, un coup de klaxon, un bras d’honneur, on se hurle des insanités, on a un peu envie de céder à la rage pour aller administrer quelques torgnoles, mais on se retient. Et gare à celui, plus timide, qui n’ose pas s’imposer. Dans ce cas, les voitures s’alignent parfois jusqu’au second étage du stationnement souterrain où ceux qui poirotent dans le monoxyde de carbone fomentent des attentats terroristes contre les conducteurs timorés devant eux, alors que les plus découragés planifient leur retour à la terre.
Autre exemple, tout à fait estival celui-là. On parle évidemment de travaux routiers. Et qui dit travaux routiers dit rétrécissements des routes, bouchons, emmerdes et, bien entendu, connards diplômés qui se précipitent jusqu’à l’étranglement des deux voies, paralysant du coup le trafic automobile. Alea jacta es. Vous croyez que la chose est partout pareille, que la situation est universelle puis, un jour, vous vous retrouvez dans la même situation aux États-Unis, et là, dès que point la première pancarte indiquant le retrait d’une voie, inévitablement, tout le monde se range dans celle qui est libre, concentrant un flot routier qui demeure étonnament fluide. Vous avez alors une illumination: nous sommes de véritables tarés de la route.
Et comment penser autrement quand on réalise que notre empressement nous ralentit?
Dernier exemple, autre fait vécu. L’été dernier, je roulais peinard dans Portneuf sur mon vélo de route, à une cinquantaine de kilomètres de chez moi, dans le rang du Petit Capsa. Pas âme qui vive, seul sur la route, je file un confortable 30 km/h quand surgit un pick-up qui, visiblement furieux de m’avoir dans ses pattes, me colle, puis me coupe en faisant hurler son klaxon.
Devant telle bêtise, on ose espérer avoir affaire à une anomalie, un rare déficit intellectuel, une aberration chromosomique, un mongol à batteries, un cyborg déprogrammé, un croisement entre un babouin et un bouc. Sauf que ce genre d’anecdote, les cyclistes de route peuvent vous en réciter un chapelet. Moi le premier, et cela ne fait que quelques années que je fais vraiment un peu de millage sur les routes, préférant la présence d’orignaux et d’ours en forêt à celle des cinglés du volant. Ces derniers étant nettement plus menaçants.
Cette violence de la route ne cesse de me fasciner. Même ma propre impatience, ma propre intolérance envers les téteux au volant me terrifie.
Ce ne sont donc pas les cyclistes qu’il faut clouer au pilori, mais bien notre débilité collective. À commencer par cet étrange paradoxe, preuve de notre inaptitude à vivre, qui veut que nous nous précipitions sur la route pour enfin profiter de nos temps libres… que nous occupons en nous gavant d’une moyenne de 31 heures de télévision chaque semaine*.
Pour se calmer les nerfs d’avoir tant pesté sur la route, je suppose.
*Statistique tirée du sondage Crop, publié dans l’Actualité du 1er mai 2007. Plus horrifiant encore, dans la tranche d’âge des 65 ans et plus, le nombre d’heures passées devant la télé grimpe à 51!