Pop Culture : Entre nous
Société

Pop Culture : Entre nous

Ce que j’aime le plus de la présente saison, c’est la façon dont les gens se dévoilent. Je ne parle pas seulement de cette tendance que nous avons tous à exhiber notre corps laiteux au regard des autres, mais surtout de la façon dont la vie se défait du carcan domestique imposé par l’hiver.

Ce que j’ai appris de plus grand de mon père, c’est sans doute à regarder. Porter attention. Prendre le temps de bien voir les choses. Admirer sans prétexte ni préjugé.

Voyez comme les gens se dévoilent…*

Le vieux monsieur Blackburn, un peu dur d’oreille, grommelle d’incompréhensibles mantras en regardant par la fenêtre – avec ce peu de discrétion dont il est capable.

Il fixe la voisine d’en face qui, pressée d’en finir avec la hâle anémique de ses poignées d’amour, a revêtu ces obscures piécettes de tissu qui seyaient si bien aux mannequins du catalogue Sears. Elle étend des vêtements qu’elle vérifiera trop souvent sur une corde de fortune aménagée à même les barreaux de sa galerie. Bientôt, elle nettoiera la porte patio en faisant chanter vigoureusement sa guenille contre le verre. Tous les prétextes sont bons pour se montrer un peu la peau.

Sylvie, elle, l’autre voisine, a déjà le teint basané. Allez savoir. C’est aujourd’hui qu’elle lance sa grande offensive contre les pissenlits qui foisonnent dans la cour. En maudissant tout de même un peu les écologistes, elle a acheté ce gadget qui lui permettra de les éliminer sans trop suer, sans même se pencher.

La petite d’à côté a sorti son vélo. Il n’a pas encore été ajusté et comme elle a beaucoup grandi, elle n’arrive à pédaler qu’avec maladresse. Elle pose le pied à terre en lançant alentour le regard effaré de celle qui voudrait mourir de honte si elle avait été vue.

Du coin de la rue, ce garçon l’a peut-être remarquée. Denis se fait aider par son grand de 12 ans pour changer les roues de l’auto. Il a une bière dans une main, et il prodigue généreusement tous ses conseils de père qui résonnent en boucle, année après année, comme un chapelet de bonnes intentions égrené sous le soleil de plomb. Dans quelques minutes il aura engueulé – avec amour mais frustration – son apprenti qui aura échappé un boulon sous la voiture.

Stéphane, de son côté, prépare ce qu’il faut pour aller ouvrir le chalet en fin de semaine. Il faudra rebrancher, rétablir l’eau, nettoyer le terrain et aérer les chambres qui ont retenu leur souffle pendant toute la durée de l’hiver. Malgré le travail impliqué, c’est un événement qui tient bien plus de l’activité familiale que de la corvée. Avec la fraîche de la rivière qui sinue dans son écrin vert tendre, ce sont tous leurs souvenirs des étés passés qui bourgeonnent en même temps que le feuillage.

L’année dernière, Stéphane a perdu sa chaloupe pendant une journée de grands vents. Il a hâte de réessayer celle qu’il a achetée l’automne dernier. Il arrive déjà à imaginer la cuiller qui fend l’air avant de briser l’écran fin de la surface de l’eau, produisant cet éclaboussement sourd… Il peut même sentir cette tension soudaine de la morsure d’un brochet qu’il aura taquiné, dans la crique, là où il y a des racines qui se chamaillent sous la surface, véritable bunker pour ces poissons prédateurs.

Pendant ce temps, dans la rue Racine, on s’est timidement approprié les terrasses. Une étudiante boit un café avec sa mère venue la chercher. Celle qui avait décidé de passer l’été ici a dû changer ses plans. Elle retournera dans sa région, finalement. Si elle restait, ses chances de se trouver un emploi seraient plutôt "conservatrices".

Alors que tonnent les pas de quelques passants sur les trottoirs de bois installés pour l’été, elle explique à celle qui lui fait face à quel point le Saguenay va lui manquer. Elle lui raconte le soleil dans la zone portuaire, la marée humaine du Festival international des rythmes du monde, les nuits folles à arpenter la Saint-Dominique. Puis elle boit une autre gorgée pour laisser l’émotion se résorber.

Au même moment, Steve fait vrombir le moteur de son rutilant Jeep décapotable avant de faire entendre son tout nouveau système de son – c’est Sweet Child O’Mine, tintant anachronisme. Deux adolescentes, la cuisse et l’épaule chargées de lumière, se donnent du coude en reluquant l’engin. Steve espère qu’elles auront aussi de l’oeil pour lui.

À cet instant précis, Mathieu sort du Cambio et jette un regard découragé à l’amateur de gazoline. Il se prend encore à espérer que la Racine devienne enfin piétonnière. Il a sous l’aisselle un exemplaire plié du Voir. Il ne m’a pas reconnu. Ça me fait sourire. Mais peut-être se reconnaîtra-t-il dans cette chronique, lui aussi.

La saison chaude permet de nous reconnaître entre nous. Nos sourires plus faciles, nos yeux qui ne fixent plus le sol… Nos travers aussi qu’on exhibe.

Je suis heureux de vous retrouver.

*Toute ressemblance avec la réalité n’est pas fortuite, seuls les noms ont été changés.