Témoignages et islam : Lignes de vie
Société

Témoignages et islam : Lignes de vie

Dans le monde du livre, la mode est au témoignage. Samia Shariff et sa fille Norah mêlent leurs voix à celles des victimes qui osent sortir du silence.

L’ART DE PARLER DE SOI

Aux éditions JCL, on connaît bien la popularité et le potentiel de vente des histoires vraies. L’éditeur saguenéen en a même fait une tradition. Dans son catalogue, on compte quatre collections axées sur les expériences de vie: Roman-vérité (13 publications), Second Souffle (3 tomes sur le drame d’Élisa T.), Témoignage (19 livres) et Victime (7 récits). Bien sûr, cette tendance à diffuser la souffrance humaine n’est pas isolée. Et plus ce qui se dévoile tend à l’extraordinaire et au singulier, plus les lecteurs se sentent interpellés, se nourrissant des malheurs des uns pour puiser aux limites de leur douleur des forces insoupçonnées. Véritable manne pour les libraires, ce genre d’écrits s’approche du fait divers, permettant au grand public de tirer une leçon de ce qui se détraque parfois dans la réalité de ses contemporains.

L’horreur et la peur ont toujours fait sensation. Déjà, à l’époque de la Grèce antique, Aristote avait reconnu cet effet de purification qu’offre la représentation d’événements tragiques: il appelait ce phénomène catharsis. Et au-delà de la curiosité et de la croissance personnelle que l’on peut tirer de tels écrits, il n’en reste pas moins que ceux-ci jouent sur nos cordes sensibles et nous ouvrent à des vérités universelles qui incitent à repenser aux valeurs essentielles pour accéder au bonheur.

LE PARCOURS DE SAMIA ET DE NORAH

L’année dernière paraissait Le Voile de la peur de Samia Shariff, avec une préface de Linda Thalie, artiste d’origine algérienne comme l’auteure. Le titre saisissant, jumelé à une couverture où se tiennent trois femmes portant le hidjab, évoque instantanément les préjugés sur la condition féminine dans les pays musulmans. Sans contredit, dans cette période dominée par la crainte des extrémistes religieux et des terroristes, on s’attend d’emblée à une dénonciation massive de la tradition islamique qui emprisonne la femme et la soumet à des règles dévalorisantes et discriminatoires. Dans une société comme la nôtre qui s’est battue pour la liberté et l’émancipation des femmes, notamment par la démarche de grandes figures comme Jeannette Bertrand et Lise Payette, on plonge en pleine polémique née d’un choc culturel. Alors que les accommodements raisonnables font la manchette, Le Voile de la peur semble s’inscrire dans la vague de colère contre les usages en pratique chez les disciples de Mahomet, incitant à croire que les hommes musulmans sont violents et sexistes. Si le livre de madame Shariff profite du contexte (la grogne contre l’islam permet des bénéfices marginaux intéressants), il s’agit d’une histoire toute en nuances, s’ancrant dans un parcours individuel douloureux mais émouvant. Ce récit montre la détermination d’une femme courageuse et sympathique. Après avoir parcouru les pages qui reconstituent les épisodes de son existence, on a envie de la serrer dans nos bras et de la réconforter.

Ainsi, Le Voile de la peur retrace les injustices subies par une jeune fille issue d’une riche famille algérienne immigrée en France. En raison de son sexe, elle est rejetée et mal-aimée. Considérée comme un fardeau par une mère cruelle, elle est battue et mariée de force à Abdel, un fou furieux qui la viole à répétition et lui fait vivre un enfer indescriptible. On lui enlève son premier-né, et, à son insu, on agresse sexuellement la deuxième de ses filles, Norah. Obligée de retourner en Algérie dans un climat politique en ébullition, Samia se sépare malgré les foudres paternelles pour se remarier avec un militaire nommé Hussein. Elle donne naissance à trois garçons avant de s’enfuir du pays, seule avec cinq enfants. Retournant d’abord sur le sol français, Samia se réfugie ensuite au Québec où elle trouve réconfort et protection. Les Secrets de Norah relate les mêmes péripéties, mais du point de vue de Norah, qui doit survivre à des traumatismes qui la hantent malgré un nouveau départ à Montréal où les dangers de naguère se sont éloignés d’elle.

QUÉBEC, TERRE D’ASILE

Le constat qui s’impose avec le témoignage des Shariff, c’est que nous sommes privilégiés au Québec: c’est une communauté ouverte et généreuse. Accueillir des personnes comme Samia et sa famille, c’est une chance pour nous, mais aussi une source de différences qui nous dépassent parfois. À ce propos, un très beau livre intitulé Québécois et musulmans main dans la main pour la paix peut aider à mieux comprendre ces gens qui arrivent d’ailleurs avec leur passé et leur culture propres.

Le Voile de la peur
de Samia Shariff
Les éditions JCL, Collection "Victime", 2006, 387 p.

Les Secrets de Norah
de Norah Shariff
Les éditions JCL, Collection "Victime", 2007, 289 p.

Québécois et musulmans main dans la main pour la paix
sous la direction de Marie-Ève Martel
Lanctôt éditeur, 2006, 215 p.

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