Croisières d'eau douce
Société

Croisières d’eau douce

Québec célèbre ses croisières et rêve de rivaliser avec les Caraïbes. Pourtant, même comparée à l’Alaska, notre industrie fait figure de marin d’eau douce. Est-il trop tard pour renverser la vapeur?

Pendant que l’Alaska accueille quelque trois millions de plaisanciers chaque année, la Vieille Capitale en attire à peine 100 000. C’est moins d’un pourcent du marché des croisières d’automne dans l’itinéraire Canada/Nouvelle-Angleterre. Une bien maigre récolte pour la plus vieille ville fortifiée d’Amérique du Nord.

C’est que la Vieille Capitale a une jambe de bois. Le corridor qui mène au pied du Château Frontenac n’est pas organisé pour accueillir les navires. Si bien que sur 86 croisières ayant accosté à Québec l’an dernier, seulement 10 ont remonté le Saguenay et une seule a visité les Îles-de-la-Madeleine, Baie-Comeau ou Gaspé. Autant de villes bordées de sites naturels pourtant remarquables.

"Ce qui empêche Québec de devenir une grande destination pour les croisières, c’est le fait qu’on est seuls. S’il y avait des escales au Sagnenay et sur la Côte-Nord, la ville de Québec pourrait devenir une véritable destination", déplore Carl-Patrick Guérard, de l’Association des gens d’affaires de Place Royale-Vieux-Port, qui rêve de voir Québec se tailler une place de choix dans le marché en pleine croissance du tourisme maritime.

Autrement dit, pour toucher le pactole, les commerçants de Québec vont devoir partager la manne. C’est d’ailleurs l’administration portuaire qui a sonné la cloche: le Port de Québec ne peut plus faire cavalier seul. Pour attirer plus de croisières, il faut développer des ports d’escales sur tout le corridor du Saint-Laurent.

"C’est comme si pendant 400 ans, on avait fait uniquement du transport de marchandises", illustre le député d’Alma-Jonquière, Jean-Pierre Blackburn, qui est à la barre de Développement économique Canada depuis son élection, début 2006. "Maintenant, on dit: les touristes peuvent venir aussi. Mais les gens qui font une croisière ne veulent pas visiter un seul endroit. Ils veulent faire trois ou quatre escales, et c’est ce qu’on doit leur offrir."

LA COURSE AUX ESCALES

Il faut dire que le député conservateur d’Alma-Jonquière est bien placé pour comprendre de quoi il retourne. Au Saguenay, la pression est forte depuis plusieurs années pour amener les navires au pays des bleuets.

La réponse de Développement économique Canada ne s’est pas fait attendre. L’agence fédérale a taillé un programme sur mesure pour permettre aux petites municipalités d’améliorer leurs infrastructures d’accueil.

Dans son sillage, la course aux escales est bel et bien lancée. La ville de Saguenay, dans la circonscription du Ministre, est la première à avoir reçu en bonne et due forme une enveloppe du gouvernement fédéral: 10 millions de dollars pour l’aménagement du port d’escale de La Baie. Le nouveau complexe va mettre le Québec sur la route des grands paquebots et allonger la saison touristique, puisque des navires de croisières accosteront à Saguenay de mai à octobre.

Les autres villes n’entendent pas rester sur le quai. Gaspé, Havre-Saint-Pierre, Baie-Comeau et Rimouski veulent toutes se doter d’infrastructures d’accueil, allonger leur quai ou développer les activités récréotouristiques destinées aux croisiéristes. Baie-Comeau a déjà touché 140 000 $ pour développer son produit et Havre-Saint-Pierre est bien dans la course, nous a-t-on confié à Développement économique Canada.

LES FRUITS DE LA MER

Au total, on estime à 100 millions de dollars les sommes qui devront être investies dans la réfection de quais. Mais il ne suffit pas d’investir dans les installations portuaires, et la facture pourrait être bien plus salée car le Ministre souhaite injecter un autre 65 millions dans les infrastructures d’accueil.

Une bonne nouvelle pour les collectivités qui se sont lancées dans la pêche aux paquebots. Quand 2500 plaisanciers débarquent dans une communauté de 3000 habitants, il faut être capable d’absorber la vague, explique la directrice générale de Développement économique Canada, Johanne Béchard. Les villages côtiers ont donc beaucoup de travail à faire pour accroître leur offre touristique. "Ce sont souvent de petites collectivités, et quand les vacanciers débarquent, il faut que les gens soient près pour les accueillir."

Ces sommes colossales, investies en région, vont toutefois profiter à l’ensemble de l’industrie touristique. Loin de détourner des navires vers le Saguenay, le développement des escales le long du Saint-Laurent va bénéficier de façon notable aux commerçants de Québec.

La capitale peut ainsi devenir plus qu’une simple escale, mais une destination. La différence? Les passagers dépensent en moyenne 150 $ à chaque escale alors qu’ils dépensent 4 à 5 fois plus d’argent à leur point d’arrivée. De quoi faire saliver les commerçants du Vieux-Québec et du Petit-Champlain.

La mairesse Andrée P. Boucher émet toutefois un bémol: les régions devront déployer des efforts pour faire honneur aux charmes de la Vieille Capitale. "Ils auront une discipline à se donner. Il y a bien des contrées où ce n’est pas aussi beau que c’était autrefois. Mais je pense que les croisières leur donneront un souffle nouveau."

PAS ENCORE LES CARAÏBES

Malgré tous ces remous, le Saint-Laurent est encore loin de pouvoir rivaliser avec les Caraïbes. Et c’est justement pour cette raison qu’il peut se tailler une place de choix. Dans les mers du Sud, la tendance est aux navires de plus en plus gros, soit 3000 passagers et plus. Un nouveau bateau de croisières est construit tous les 44 jours et certains peuvent accueillir jusqu’à 6400 passagers.

L’arrivée massive de cette nouvelle génération de Titanic, de plus en plus luxueux, force l’industrie à redéployer ses "petits" navires (1000 à 2500 passagers) sur de nouveaux itinéraires. Dans l’industrie, personne ne se plaindra que les vieux rafiots des mers du Sud viennent écumer le long des côtes du Saint-Laurent.

On est en train de briser la glace. Attendez de voir la débâcle lorsque 2000 plaisanciers débarqueront près de chez vous!