Pop Culture : L'Insoutenable Légèreté de l'été
Société

Pop Culture : L’Insoutenable Légèreté de l’été

Te voilà bien campé dans ta retraite idyllique. Au programme, tout un après-midi de farniente assumé; le cricri de quelque criquet – ou autre insecte qui ne semble exister que par le son qu’il fait; la turlutte des oiseaux très communs qui jouent dans l’ombre des vieux cèdres; l’embaumement du tapis floral auquel tu tournes le dos mais pas la narine. Peut-être quelque chose à boire. De frais. De pétillant. Oh oui. Ce serait bien.

Mais la seule idée de te relever… De sentir ta peau moite se décoller du tissu synthétique de la chaise… De dévaler le cran pour t’enfourner avec un soupir dans la maison, avant de revenir sur tes pas en haletant, tenant en équilibre sur tes épaules le poids caniculaire de l’écrasante journée… Mieux vaut rester assis.

Chaque degré qui étire la bande rouge du thermomètre est une tonne de plus à te ployer l’échine. Tu essaies de lire, le soleil est aveuglant sur les pages trop blanches de ce roman de Marguerite Duras – Les petits chevaux de Tarquinia -, véritable extension des excès caloriques de l’air ambiant. La couverture te fait la main moite, le livre y est lourd, et il faut fréquemment que tu relises des passages qui se perdent dans l’étouffant après-midi.

Tu ne comprends pas pourquoi tout un chacun associe l’été à la légèreté.

Il n’y a RIEN de léger aujourd’hui. Chacune de tes respirations est pathétique au point d’être digne du mythe de Sisyphe; tu roules parfois la pupille d’exaspération en sifflant entre tes dents. La saison a le pied sur toi et t’écrase, comme un vulgaire mégot qui ne peut pas s’éteindre, qui semble mourir chaque fois sous la semelle mais qui se ravive soudain lorsque le pied se relève.

Surtout, tu ne comprends pas pourquoi on associe l’été à la lecture. Le concept de "lecture d’été" ne peut pas, selon toi, être québécois. Pas seulement parce que plusieurs de tes ancêtres étaient illettrés, mais aussi parce que l’été est par tradition dévolu aux grands labeurs. Évidemment, tu ne vas pas aux champs comme le faisaient ces gens qui ont creusé tes racines, mais tu dois prendre d’assaut ta petite parcelle de planète, ridicule euphémisme des corvées de jadis. Et à moins de travailler dans les frigos d’un abattoir ou sous le crachin bruyant d’un air climatisé, le boulot, même le plus agréable, devient lui aussi un peu plus lourd à supporter.

Aujourd’hui, tu voudrais bien qu’un finaud vienne t’enguirlander en tentant de soutenir l’insoutenable thèse qui prétend que l’été est léger. Il n’arriverait même pas à ouvrir la bouche, te plais-tu à croire. Il s’assoirait près de toi, avachi lui aussi par l’imparable lourdeur estivale.

Et demain l’hiver, tu te plaindras qu’il fait froid. Il n’y a rien à comprendre.

Mais au moins, si alors tu te plains, tu le feras emmitouflé dans un jeté confortable, un livre à la main. Et voilà que la lecture sera vraiment légère, comme une poudreuse qui grafigne l’horizon au moindre souffle, danseuse blanche qui s’étale et se redresse. Et alors engoncé dans le confort, tu te moqueras des suées estivales; des mots qui se perdent dans l’aveuglante lumière de 14h; des insectes qui te dérangent en te chatouillant ou en se posant sur ta page; des oiseaux agressifs qui se chamaillent; de l’odeur trop prononcée des fleurs du parterre.

Est-ce le coup de la chaleur? Tous les morceaux du casse-tête sont justement dans ces lignes – l’air de rien, vraiment, tout est là…

Peut-être est-ce justement parce que l’été est si lourd que les "lectures d’été" sont si légères, créant ce rarissime équilibre frais.

Ça va mieux. Tu as mis Duras de côté, tu y replongeras lorsqu’il fera plus tiède. Pour l’heure, tu as choisi de méditer les phrases impromptues de Sylvie Laliberté, qu’elle a colligées dans Je suis formidable mais cela ne dure jamais très longtemps (400 coups). Chaque page te laisse assez d’espace pour respirer, allégeant du coup ta journée. Tu attends que passe un nuage pour tourner une autre page. Rien ne presse. Pas aujourd’hui.

D’accord pour les lectures d’été, alors. Signe des temps, peut-être. Signe aussi que tu n’es pas si borné qu’on voudrait le croire. Et pourquoi pas, d’accord pour le théâtre d’été… La chaleur pénètre si profondément qu’il vaut peut-être mieux rester en surface, parfois.

Toutefois, on ne s’en sort pas: l’été n’a toujours rien de léger. Outre peut-être les vêtements de ta précieuse amie, qui cherche aussi sous les feuillages une enclave dans cet étouffant après-midi. Tu te demandes ce que les autres font, ou lisent, pour alléger cette lourdeur fatale.

Tiens. Un nuage passe. Tu peux tourner la page.