Richard Bergeron : Du projet au plan
Société

Richard Bergeron : Du projet au plan

Le mois dernier, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, annonçait les détails de son ambitieux Plan de transport, qui réunit curieusement plusieurs points pour lesquels milite Richard Bergeron, docteur en aménagement et chef de Projet Montréal.

Quelle a été votre réaction à ce Plan de transport?

Richard Bergeron: "C’est un bon plan qui a pris tout le monde par surprise, y compris moi-même. Même s’il n’est que sur papier, il est ambitieux et il va dans toutes sortes de directions.

À Projet Montréal, le tramway est une pièce maîtresse pour la manière de vivre la ville et de la développer. L’idée du Plan de transport du maire Tremblay de faire passer le tramway de part et d’autre de la montagne et de le faire traverser en enfilade les quartiers francophones du côté est de la montagne (Plateau, Rosemont et Villeray) et le côté ouest plus anglophone et multiethnique (Notre-Dame-de-Grâce et Côte-des-Neiges), c’est génial!

Le réseau de 240 km de corridors exclusifs pour autobus, c’est la même chose que notre réseau tramway à Projet Montréal. Les spécialistes en transport savent très bien que quand tu veux réserver l’espace et modifier les habitudes, tu forces les automobilistes à s’ajuster. Le bus va mieux, les gens l’utilisent et tu confirmes qu’il y a un potentiel pour un mode plus lourd comme le tramway. C’est une manière économique de mettre en place ton réseau tramway. Le maire Delanoë l’a fait à Paris où il y a 160 km de tramway en site propre, alors qu’il n’y en avait aucun il y a cinq ans."

Êtes-vous heureux de voir des actions enfin entreprises dans une direction souhaitée par Projet Montréal depuis 2004?

"L’énorme plus, c’est que la classe politique montréalaise commence à dire la même chose. Quand je parlais de tramways il y a quelques années, je parlais tout seul. Et quand je parlais de péage, on me lançait des tomates. Si la population comprend qu’on est plusieurs courants à dire la même chose, il ne reste plus qu’à se poser la question de la crédibilité: qui est le meilleur pour le réaliser? On verra en 2009 (ndlr: prochaines élections municipales à Montréal)!"

Est-ce que ce plan remet en question l’existence de Projet Montréal?

"Pas du tout. Je n’ai aucune crainte pour la pertinence de Projet Montréal. Au contraire, je mesure son efficacité. Ça confirme qu’on a vu juste en mettant la priorité sur ces éléments-là. Mais je préférerais que ce soit Projet Montréal qui mette cela en oeuvre, ça me rassurerait."

Ce plan contient-il des failles?

"Plusieurs. La principale, c’est l’articulation entre ce plan et les autres aspects du développement de Montréal.

Par exemple, actuellement, dans le plan d’urbanisme de la Ville, on vise à construire 5000 bungalows de plus à Pierrefonds. Pour ce faire, il va falloir consommer 6 km2 d’espaces verts. Une partie de la dernière grande forêt de Montréal va disparaître. Pourquoi? Parce que l’instrument de transport privilégié, c’est l’automobile. Alors on va investir des centaines de millions de dollars dans des boulevards et des bretelles autoroutières. Les ménages vont investir avec le temps plusieurs centaines de millions dans l’achat d’automobiles et ça va donner tel type de développement."

Que pensez-vous du retour au péage pour financer ce Plan de transport?

"Avec ce Plan de transport, l’instrument de financement est dans le document: quand tu franchis un pont, tu paies. D’autres moyens existent, comme la taxe sur l’essence. Mais avec les fluctuations du prix de l’essence, la population oublie qu’elle paie pour le transport en commun. Le péage a une vertu pédagogique inouïe. C’est pour ça qu’ils l’ont fait à Londres, Stockholm et bientôt à Manhattan.

J’ai été surpris de voir le péage dans le Plan de transport et encore plus de voir les résultats du sondage: les gens disent qu’un plan comme celui-ci est souhaitable et acceptent que les automobilistes le financent."

On peut féliciter le maire d’avoir capté le contexte favorable à un tel projet.

"Oui. Quand on dit que Jean Drapeau a été un grand maire en citant l’Expo 67, le métro et les Jeux olympiques, ce n’est pas parce que Jean Drapeau était expert en transport ou en événements internationaux. Il captait les messages et il les portait en tant que leader. Il disait: "Vous m’avez convaincu. J’en fais mon affaire." Il a été l’homme qui a eu le courage de mettre en oeuvre ces idées. C’est ce qu’on demande à un maire."

Vous intéressez-vous davantage à la cause du transport et du développement durable de Montréal qu’à l’idée de devenir maire?

"Je ne serais jamais venu à la politique si les gens auxquels je proposais ces idées-là m’avaient fait l’énorme plaisir de mettre en oeuvre une partie de ce dont je parlais. Jamais je n’aurais pensé à la politique si une autorité municipale ou un ministre des Transports m’avait dit qu’on retiendrait mes services, par exemple, pour superviser le projet d’un nouveau tramway à Montréal.

Maintenant, ça a changé. J’ai pris goût à la politique. Je demande des garanties. Il est beau, le réseau de tramway, sauf que la phase I, c’est strictement Peel, le Vieux-Port et Berri. Quand tu grattes un peu, tu vois que Peel est très large au sud de René-Lévesque, donc on ne nuira pas aux automobiles. Ensuite, l’axe du Vieux-Port n’est pas sur la rue de la Commune, mais à l’intérieur du Vieux-Port. Si tout doit s’arrêter après la phase I, on reste avec un tramway qui ne représente aucune nuisance. Ils ont beau avoir un joli document, pour Gérald Tremblay, un tramway reste toujours une nuisance à la fluidité de la circulation."