Société

Pop Culture : La Fierté en franges

C’est la fête nationale.

Je ne savais pas comment j’aborderais le sujet. C’est une boîte de Pandore mal cadenassée et la serrure est tranchante – c’est sûr, je m’y couperai.

C’est la fête nationale. Je devrais avoir la fierté à son paroxysme. Et pourtant. Je l’ai plutôt qui s’étire en franges brûlées.

J’en ai peut-être été dépossédé, allez savoir comment, ou quand. Ce n’est pas comme si j’avais vécu une scission, une déchirure qui m’en aurait séparé. C’est plutôt comme une usure qui aurait lentement métamorphosé mes rêves d’adolescence en souvenirs un peu diffus. Est-ce la sagesse? Suis-je simplement moins idéaliste?

En fin de semaine, on soulignera un peu partout la fierté d’être Québécois. C’est une belle façon d’assurer son pas en s’avançant sur ce terrain miné. Mais qu’est-ce que c’est que cette fierté?

Dans Option Québec, manifeste qu’il publiait en 1968, René Lévesque écrivait: "Pour parler familièrement, il faut que nous nous donnions des motifs suffisants d’être non seulement sûrs, mais assez fiers de nous-mêmes." Trente-neuf ans plus tard, qu’en est-il de notre fierté? De quoi peut-on être fiers?

Des grands espaces? De notre nordicité? De notre courte histoire?

Je ne nie pas que tout cela puisse susciter une pointe de fierté. Mais je n’arrive simplement plus à m’en convaincre véritablement.

Bien sûr, quand je traverse la réserve faunique des Laurentides et que deux heures durant il n’y a que forêt, lacs et rivières; quand un étranger croisé au hasard de la vie s’extasie devant le déchaînement nival, la poudreuse en rafales et l’air glacial, je me sens interpellé. Je sais qu’il touche là quelque chose. Et j’ai conscience d’une lignée qui a voulu malgré la guerre, malgré l’assimilation plus ou moins effective, perpétuer ce seul véritable bastion francophone en Amérique du Nord. Mais est-ce de cela dont il faut être fiers?

Quand un Québécois, en voyage à l’étranger, serre la main d’un Chinois, d’un Français, d’un Russe… Notre passé croise l’histoire millénaire de peuples qui semblent être là depuis toujours. Ils viennent ici visiter nos églises centenaires, au mieux bicentenaires. Et dans leurs cours arrière dorment sous les feuillages des temples, des théâtres romains millénaires…

Ce n’est pas que je remette en question l’idée d’une fierté québécoise – qu’au fond je désire plus que tout susciter -, mais je me questionne seulement: de quoi le Québécois moyen devrait-il être fier? Et je ne suis pas le seul à m’interroger…

Je me souviendrai. Que nous sommes un peuple qui a besoin d’une étude pour savoir qui il est – vous aurez compris que je fais référence à cette commission d’étude que le gouvernement a déléguée à Charles Taylor et Gérard Bouchard, dans la foulée des problèmes liés à ces cas d’accommodements plus ou moins raisonnables soulevés dans les médias. Nous avons besoin d’un rapport, dûment signé, un papier qui nous dira enfin qui nous sommes, d’où nous venons et quelle direction nous prendrons – ce sont là les pistes qui étaient proposées par Taylor dans Les Sources du moi: la formation de l’identité moderne pour déterminer une identité collective.

Selon moi, l’une des raisons pour lesquelles nous vivons cette déroute identitaire vient justement de ceux QUI SE PRESENTENT comme les plus ardents défenseurs de l’identité québécoise. Obnubilés par leur désir de faire des Québécois un "grand peuple", et répondant à leur besoin de se créer des héros – car qui peut croire en une nation sans héros? -, ils ont procédé à la sacralisation, voire à la sanctification, de ceux que l’on perçoit aujourd’hui comme des icônes de l’identité québécoise – les René Lévesque, Félix Leclerc, nommez-les tous. On les a fagotés en têtes de proue du radeau instable du rêve souverainiste – et au large, la mer est loin d’être calme.

Je les respecte, ces hommes qui ont trimé dur, ont eu des ambitions, ont failli, parfois. Un respect dont je ne me cache pas, qu’au moins mes proches connaissent bien. J’éprouve de la fierté devant ce qu’ils ont accompli. Or, on oublie justement trop souvent qu’ils étaient faillibles, ces hommes devenus héros malgré eux, qu’ils ont été critiqués, de leur vivant.

On l’oublie, et aujourd’hui, on attend un nouveau Prince, un Messie qui saura nous dire qui nous sommes, qui saura nous allumer, un homme exemplaire – ou une femme parfaite. Et puisque c’est impossible, nous voilà mûrs pour un perpétuel statu quo – au mieux – ou une régression identitaire – cette usure dont je parlais plus tôt et qui pâlit déjà – désespoir! – mes idéaux.

Cette erreur a été évitée par les peuples millénaires qui ont trouvé dans leurs légendes leurs propres héros aux exploits immémoriaux. Ce n’est pas un héros qu’il faut aux Québécois, ni poète, ni chanteur, ni politicien. C’est un consensus autour de l’idée d’agir, autour du désir d’être. Peut-être le rapport Taylor-Bouchard le permettra-t-il enfin?