Un gros projet immobilier sur l’île Charron : Une île perdue?
Un gros projet immobilier sur l’île Charron, aux portes du seul parc national en périphérie de Montréal, scandalise les protecteurs d’espaces verts. État des lieux.
Récemment, on apprenait que plus de 2000 logements allaient être construits sur l’île Charron, un bout de nature situé à deux pas du parc national des Îles-de-Boucherville. La nouvelle a surpris tout le monde.
Les groupes de protection des milieux naturels ne sont pas restés silencieux. Protestations, lettres aux journaux, lignes ouvertes. "Le dossier de l’île Charron pourrait ressembler à celui du parc du Mont-Orford", soutient Richard Marois, président du Conseil régional de l’environnement de la Montérégie, un des opposants au projet.
Pour la ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Line Beauchamp, le sort de l’île Charron pourrait devenir son premier dossier "sensible"…
Or, dans toute cette histoire, les écolos ne blâment pas directement le promoteur privé, mais plutôt l’ex-propriétaire de l’île Charron, Desjardins. "Le promoteur a le droit de construire où il veut, dit Tommy Montpetit, porte-parole du Front vert de la région de Montréal. Le vrai blâme revient à Desjardins, qui a refusé catégoriquement de céder ses terres en tant que don écologique, mais aussi au gouvernement, qui aurait dû régler ce dossier il y a longtemps."
UNE ÎLE NÉGLIGÉE
L’île Charron, seule île non développée à quelques minutes de Montréal, est située aux abords du parc national des Îles-de-Boucherville. Au fil des ans, ce bout de nature a été malmené pour accueillir l’entrée du pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine, ainsi qu’un hôtel. Il y a une vingtaine d’années, afin de freiner son développement, l’État a, à deux reprises, placé l’île sous réserve foncière. Malgré les demandes répétées de différents groupes écologistes, le terrain n’a jamais été intégré au parc national voisin.
Jusqu’à récemment, l’espace de 24 hectares appartenait à Desjardins. L’institution, qui a déjà été approchée afin qu’elle cède le site en raison de sa valeur écologique, n’a jamais donné suite à cette demande. En fait, la coopérative aurait évalué cette possibilité, mais en aurait conclu que ce type de "don" ne présentait pas d’avantages intéressants pour ses actionnaires.
"Il y a près d’un an, j’ai moi-même contacté Desjardins pour tenter d’acheter le terrain, soutient Richard Marois. Puis, il y a huit mois, j’ai appris que la société avait conclu une transaction avec un promoteur privé. Ils ne nous ont pas avertis, ni fait aucune offre. J’ai beaucoup de difficulté à comprendre…"
"Desjardins aurait dû vendre le terrain au gouvernement, ou à tout le moins lui faire une offre. L’entreprise a plutôt décidé de s’en débarrasser sans en parler à personne", ajoute pour sa part Jean Hubert, responsable de la commission des aires protégées chez Nature Québec, un autre opposant à ce projet.
Ce promoteur privé, c’est Luc Poirier. L’entrepreneur de 31 ans a acquis le terrain pour la somme de 6 millions de dollars. Puisque l’île Charron n’a jamais fait partie du parc national des Îles-de-Boucherville, rien ne l’empêche de la développer. À moins que la pression publique ne s’y oppose trop vigoureusement…
UNE ÎLE, UNE VILLE
Le projet de M. Poirier, tel que présenté dans les médias, ressemble à une nouvelle "Île-des-Soeurs". Jusqu’ici, on a annoncé des investissements de un milliard de dollars afin de créer une tour comptant 2500 unités d’habitation, un spa, quelques commerces et un terrain de golf. Une vraie petite ville dans une oasis de verdure.
En entrevue, le promoteur Luc Poirier souligne toutefois que toute cette histoire suscite "beaucoup plus de peur que de mal", ajoutant que son projet est "le plus vert au Québec en ce moment". "Je n’ai jamais eu l’intention de faire un golf, précise-t-il. Le territoire que j’ai acheté représente moins de la moitié de la superficie du parc Lafontaine. Il n’y aurait même pas d’espace pour trois trous!"
Quant à la valeur "écologique" de l’île Charron, M. Poirier ne partage pas l’opinion de ses opposants. "Ce site-là est un ancien dépotoir dans lequel on retrouve des milliers de batteries d’auto et des déchets de construction datant de l’époque de la construction du pont-tunnel, dit-il. Et contrairement à ce qui a été dit, mon terrain n’est pas limitrophe du parc national, il y a un terrain qui appartient au gouvernement canadien entre les deux."
ESPACE À CONSERVER
Les différents intervenants préoccupés par la préservation de l’île Charron tiennent un autre discours. "Le projet en lui-même ferait en sorte qu’entre 4000 et 5000 personnes habiteraient juste à côté d’un parc national, dit Jean Hubert. C’est mettre une pression constante sur une réserve faunique qui n’est pas conçue pour avoir autant d’achalandage."
Par ailleurs, la disparition de cette zone tampon entre le parc des Îles-de-Boucherville et la civilisation, au profit d’un quartier densément peuplé, menacerait la survie du cheptel de 200 cerfs, devenu une attraction à deux pas du centre-ville de Montréal.
Tommy Montpetit s’inquiète enfin du corridor migratoire des oiseaux, qui pourrait être perturbé par la tour que souhaite ériger le promoteur. "C’est impressionnant de découvrir le nombre d’oiseaux qui heurtent les parois vitrées des tours, dit-il. Et en plus de nuire aux oiseaux, les tours seraient une nuisance visible."
Qu’en pense le voisin immédiat de l’île Charron? Serge Perreault, directeur du parc national des Îles-de-Boucherville, ne souhaite pas décrier publiquement le projet. On sent toutefois qu’il préférerait que l’île reste intacte. "On parle du smog à Montréal…, dit-il. Les arbres et les boisés aident à diminuer cet effet. Il faut penser aussi à l’influence qu’a l’île Charron sur le reste de la Métropole."
Pour Luc Poirier, les prétentions des écologistes sont farfelues. "Ils parlent à travers leur chapeau, ils disent n’importe quoi", persiste-t-il.
Quoi qu’il en soit, vu l’averse de critiques qui tombe sur cette éventuelle "Île-des-Soeurs" version réduite, le gouvernement Charest pourrait être forcé de placer l’île Charron sous réserve foncière, encore une fois. Cette fois-ci, espèrent les écolos, dans le but de greffer pour de bon l’espace vert au parc national des Îles-de-Boucherville. L’opinion publique donnera-t-elle à cette île perdue sa véritable vocation? À suivre.