FRAPRU : La crise invisible
Y a-t-il une crise du logement en 2007? La multiplication des pancartes "à louer" dans les rues de Montréal est indéniable. Pourtant, pour François Saillant du FRAPRU, la crise n’est pas terminée. Elle a simplement changé de forme.
La plupart des gens ont l’impression que la crise du logement est chose du passé: il y a beaucoup plus de logements à louer et moins de files d’attente pour les visiter. "C’est ce qui fait que le problème retient beaucoup moins l’attention qu’auparavant, s’inquiète François Saillant du Front d’action populaire en réaménagement urbain. On est dans une période où l’on banalise énormément la crise."
En 2001, l’état de crise était généralisé; il manquait de tous les types de logements locatifs. Si bien que la majorité des logements frappés par la pénurie étaient les plus coûteux. On se souvient du couple d’ingénieurs qui, en 2001, s’était retrouvé à la rue avec ses quatre enfants. Leur histoire avait été très médiatisée. "La crise avait quelque chose de plus spectaculaire qu’aujourd’hui. C’est qu’elle ne touchait pas seulement les pauvres", explique le porte-parole du FRAPRU.
AUX PAUVRES LA PÉNURIE
Si l’on ne parle plus de crise du logement, c’est que le taux d’inoccupation tourne aujourd’hui autour de 2,7 %. La question est donc maintenant de savoir à quel prix on peut se loger. Bon an, mal an, c’est une hausse de 25 % du prix des loyers qu’ont subie les Montréalais depuis 2000, selon le FRAPRU. Bien entendu, ces augmentations ont des répercussions surtout sur les foyers à faible revenu. Selon les données du dernier recensement, en 2001, environ 55 000 familles montréalaises consacraient à leur loyer au moins 80 % de leur revenu. "Il n’y a aucun doute qu’aujourd’hui, ce chiffre a augmenté", soutient François Saillant.
Si pénurie de logement il y a, c’est sans contredit chez les pauvres. "C’est vrai qu’il y a plein de logements annoncés, mais ce sont pour la plupart des logements plus coûteux, ceux que l’on appelle haut de gamme. Des 5 1/2 en bas de 500 $, ce n’est pas trouvable."
LE RISQUE DE L’HABITUDE
Il semble pratiquement normal aujourd’hui de payer 800 $ pour un 5 1/2. Les gens se sont pliés à l’idée de payer cher. Voilà le danger. "Notre société a cette faculté de s’habituer à tout. Non seulement on s’est accoutumé au fait que les logements étaient de plus en plus coûteux, mais on s’est surtout habitué à avoir de la difficulté à s’en dénicher un. Pire, les gens trouvent maintenant normal de voir des familles à la rue le 1er juillet", déplore M. Saillant.
Dans ce mouvement de banalisation, il faut inclure le gouvernement Charest. Tout comme la masse, lui aussi s’est habitué. Cette année, il a décidé de mettre fin au programme de supplément de loyer, qui permettait aux plus pauvres de consacrer un maximum de 25 % de leur revenu au paiement du loyer. Nul besoin de mentionner que François Saillant est exaspéré par cette décision. Par ailleurs, il reconnaît le travail de la Ville de Montréal. "Elle prend ses responsabilités, elle assume même celles du gouvernement, ce qui n’est pas normal." En effet, Montréal offre pour une septième année consécutive des services de première ligne – hébergement de familles, aide au relogement – aux foyers frappés par la crise.
ON S’ARRANGE
Si les mieux nantis se sont naturellement habitués à la crise, les plus pauvres, qui sont les principaux concernés, ont mis en marche leur système D. "Les gens s’arrangent maintenant, c’est pourquoi la crise est moins visible. À l’époque, les gens allaient dormir dans des polyvalentes. Ça, les médias adoraient! C’était très spectaculaire. Aujourd’hui, plusieurs font autrement: ils vont chez la belle-soeur ou dans un motel. Sans parler du nombre grandissant de familles qui partagent le même logement", explique-t-il.
Des logements insalubres qui, dans un contexte normal, ne se loueraient pas sont aujourd’hui occupés et très en demande. On a aussi vu apparaître des logements qui n’en sont pas vraiment. "Il y a des gens qui habitent dans des garages! C’est illégal et surtout malsain, mais ça fait partie des moyens qu’ils ont trouvés pour avoir un toit", dit-il.
Certains ont choisi d’arranger les choses en quittant tout simplement Montréal. "À Châteauguay ou à Valleyfield, par exemple, il y a beaucoup de gens qui viennent de Montréal. C’est probablement ce qui explique que Valleyfield vit actuellement une véritable pénurie de logements. Pourtant, il n’y a pas eu de boum du marché de l’emploi là-bas", observe François Saillant.
DEUX RÉALITÉS ENNEMIES
Les locataires aux meilleurs revenus ont trouvé le moyen par excellence d’éviter la flambée des prix: ils sont graduellement devenus propriétaires. "C’est une des conséquences de la crise. Beaucoup de ceux qui demeurent locataires sont des individus qui ne pourront jamais devenir propriétaires, ils sont trop pauvres. Ce sont pour la plupart des gens exclus du marché du travail", souligne François Saillant.
Le portrait actuel de l’univers du logement se brosse donc par le choc de deux réalités discordantes. D’une part, il y a la nature du marché privé, qui suit la logique du profit. De l’autre, il y a celle des locataires qui, de plus en plus, sont pauvres. "Ça démontre à quel point on ne peut pas se fier au marché privé pour régler les problèmes. Le logement n’est pas une marchandise, c’est un droit."
Pour le FRAPRU, actif depuis 30 ans, la solution est claire: le logement social.
Au Québec, 10 % des logements locatifs sont des logements sociaux. Ce qui est carrément insuffisant, selon François Saillant. "C’est bien peu comparativement à ce qu’il y a en Europe. En France, c’est 40 %, et aux Pays-Bas, ça va même jusqu’à 60 %. Notre objectif au FRAPRU, c’est d’amener le nombre de logements sociaux à 20 %."