Fin de l’année scolaire. Dans une école secondaire près de chez vous, un établissement public comme cent autres, une petite poignée d’élèves se fait prendre la main dans le sac. Bedang! Plagiat.
Comme de raison, la direction traite la situation avec le plus grand sérieux. Parmi les sanctions imposées, on leur retire le privilège de participer à un voyage de fin d’année, planifié de longue date.
Bien fait, dites-vous?
Attendez, ce n’est pas terminé… Vous oubliez une variable dans l’équation. Sans doute l’un des plus faibles maillons du système d’éducation. Pire que les connards ésotériques du Ministère qui bandent sur la pensée positive, pire que les pédagogues aux visées transversales, pire que les profs quasi analphabètes, pire que les bulletins "avec pas de notes".
J’ai nommé les parents.
Vous devinez la suite? Papas et mamans se pointent à l’école et, apparemment, déchirent leur chemise. Ils réclament que leurs ti-nenfants soient tout de même du voyage. Leur argument? Leurs ados ne savaient pas que le plagiat était interdit, il aurait fallu être plus clair: dire qu’ils n’ont pas le droit de copier. Le plagiat, savent pas ce que ça veut dire.
Tellement navrant, on se croirait au procès de Nima Mazhari.
Selon l’agent de communications de la commission scolaire, étonné de mon appel concernant une banale affaire de plagiat, la direction de l’école aurait tenu son bout et les enfants auraient été exclus du voyage. Impossible d’en savoir plus, d’obtenir davantage de détails, c’est pourquoi je tais le nom de l’école. Mais comme on m’avait au départ prétendu le contraire, qu’on m’avait dit que l’école avait plié, cela m’a en partie soulagé.
Je dis bien en partie.
Car même si l’école avait abdiqué, le véritable scandale de cette anecdote aurait encore été l’oeuvre des parents.
Imaginez. Votre enfant se fait prendre, red handed comme disent les anglos. La preuve est là, accablante. Et vous faites quoi? Vous le punissez à votre tour? Vous lui expliquez qu’il doit subir les conséquences de ses actes à un âge formateur, d’une importance capitale pour sa compréhension du monde?
Ben voyons! Non seulement vous gobez ses mensonges, mais en plus, vous vous battez pour qu’il conserve ses privilèges. Vous lui dites que c’est pas si grave, que la sanction est trop importante compte tenu de la faute.
La belle affaire.
Contrairement à ce que doivent croire ces parents, ce n’est pas d’amour pour leurs enfants dont ils font preuve en agissant ainsi, mais d’inconscience. Pire, en prenant leur parti, ils démissionnent de leur rôle de parent et font porter tout l’odieux de l’éducation à l’école.
Il n’aimera pas ses profs, blâmera l’école pour ses frustrations, se disent sans doute ces parents. Une école qui, si elle peine autant à inculquer des connaissances, c’est aussi parce qu’on lui demande d’éduquer, de fournir aux enfants tout le bagage savoirs-valeurs. Bref, qu’il l’haïsse cette école de merde, mais pas moi. Moi, il m’aimera encore, se disent encore ces parents démissionnaires.
Et après tout, ce n’est qu’un voyage, non?
Eh ben non Madame, eh ben non Monsieur. C’est pas juste un voyage. C’est une récompense. C’est un privilège. Et un privilège, ça se retire. Surtout à des fins éducatives.
Les voyages forment la jeunesse, les coups de pied au cul qui se perdent, eux, la déforment atrocement.
J’avance cette chose épouvantable. Vous m’en voudrez peut-être, car ce que je vais dire est grave. Terrible. Mais si on leur apprenait un peu mieux à se casser la gueule à nos enfants, si on leur repassait un peu plus souvent la bande annonce du film de leur vie à venir, avec ses frustrations, ses échecs, ses petites humiliations, avec ses erreurs et les conséquences qu’elles entraînent, me semble que nos ti-culs seraient mieux équipés pour la suite des choses.
Je m’égare en vérités de La Palice, cela me permet de tourner autour du pot, parce que j’ose à peine aller plus loin. Ce que je m’apprête à dire est presque trop gros, et je sais que vous allez croire que j’exagère.
Savez quoi? J’espère très sincèrement que vous avez raison.
Mais voilà: me semble que s’ils en connaissaient mieux la teneur, ses splendeurs, mais aussi ses misères, les enfants devenus adultes passeraient peut-être un peu moins de temps à se demander, au premier obstacle tenace, si cette vie qu’on ne leur a pas assez appris à vivre vaut vraiment la peine d’être vécue.