Pop culture : Le Critique démasqué
Société

Pop culture : Le Critique démasqué

Entre l’arbre et l’écorce. C’est ce que tu t’imposes en refusant une vision manichéenne du monde. Toujours être dans un entre-deux plus ou moins confortable. Tout ça parce que tu n’as jamais pu voir de véritable noir. Ni de véritable blanc. C’est peut-être parce que la grisaille te grise.

Tu n’es pas l’un de ces critiques qui prétendent à l’objectivité la plus froide. De toute façon, tu sais que ce n’est rien de plus qu’une mascarade. C’est un peu la faute de Donigan Cumming si tu cherches aujourd’hui à démystifier cette supercherie répandue dans le monde médiatique. Quand on écrit pour un journal qui s’appelle Voir, ça ne peut que susciter quelques questionnements d’être mis en présence d’une oeuvre qui dénonce la proximité et le voyeurisme médiatique mal dissimulés sous une prétention à l’objectivité.

Il y a quelque chose de viscéral dans l’expérience même de la culture. Dans le fait d’aimer ou non une chanson, un roman, un spectacle, une pièce de théâtre. C’est peut-être justement ce qu’elle a de plus fascinant, cette industrie: cette occasion qu’elle offre de peut-être pouvoir sentir cette subite montée de sève dans tes racines, qui vient t’en mettre plein les oreilles ou plein la vue. On ne s’en sort pas. Celui qui prétend le faire est un menteur.

Car on a beau dire, tu es toujours là quelque part, derrière l’écran d’un mot détourné, derrière la tournure d’une phrase qui a glissé, malgré toi, de tes doigts au clavier. Même dans la façon que tu as de t’effacer derrière un pronom inusité, on te reconnaît. Tout comme tu reconnais aussi les autres journalistes dans les sédiments de leurs mots.

Évidemment, il existe malgré tout de bons critiques. On croit en général les reconnaître à la façon dont ils arrivent à donner l’impression de faire abstraction d’eux-mêmes. Au lieu de dire "Je", par exemple, le bon critique préférera une tournure impersonnelle, ce qui le délestera de toute implication.

"Sortez-moi de moi!" chantait Daniel Bélanger il y a quelques années. Qu’on te sorte de toi. Comme si c’était possible.

L’appréciation de la culture naît de l’expérience. Elle est d’abord et avant tout un VÉCU, s’inscrit à même les chairs de celui qui en profite. Ça signifie qu’au fond, même si on inventait un langage propre aux critiques, une espèce de klingon – vous savez, cette langue complètement dénuée de sentiments qui a été créée pour cette race d’extraterrestres atrabilaires et belliqueux, dans Star Trek -, il n’en demeurerait pas moins que leur critique trouverait sa source dans leur expérience.

Si l’extase survient parfois, ce n’est pas seulement parce qu’un comédien a réussi à s’ouvrir les tripes sur la scène. C’est parce que le spectateur (ou le critique), particulièrement touché, a accepté de le faire au même moment. Et il faut dire que, parmi les critiques, il y en a qui font plus facilement hara-kiri que d’autres…

Ce n’est pas ton cas. Les souvenirs cicatriciels que tu gardes de tels événements mémorables sont peu nombreux. Emmanché sur un frame d’écureuil, qu’est-ce que ce serait si tu t’ouvrais les entrailles à chaque spectacle ou chaque album écouté…

C’est dans cette optique que, lorsque tu vas voir un spectacle, tu répliques le plus sincèrement du monde à ce qu’on t’a proposé en composant un billet critique sur le blogue Saguenay/Alma: À perte de vue. Avec force détails, lorsque c’est possible, tu livres les secrets de ton expérience.

C’est ainsi qu’en sortant de La Nouvelle Fabuleuse, tu as scribouillé sur ton blogue à propos de cette impression diffuse de déjà vu, montrant ta réticence à déclarer tes attentes comblées. Pendant ce temps, un autre journal se préparait à mettre à sa une que la première a été un succès. Bizarre, tout de même.

C’est de cet étrange phénomène dont il est question. Peu importe quel papier froissé attire notre attention au détour d’un café, peu importe qui partage notre déjeuner ou désennuie notre trajet d’autobus. Que ce soit ta voix, la sienne, la leur… Elles n’ont rien de divin. Il faut savoir lire entre les lignes la part du texte qui est redevable au vécu. Et surtout, savoir que l’objectivité n’est qu’un masque de plus cherchant à cacher cette part de soi qui ressurgit dans tout ce que l’on fait.

Alfa Rococo: le 6 juillet à 21h, dans le cadre du Festirame.

Tu te souviens, il y a quelques semaines, tu as trouvé parmi ta pile de CD celui du duo Alfa Rococo. Le soleil plombait la pelouse fraîchement tondue, tu avais chaud, la limonade était fraîche, ça fleurait bon les parfums d’un été naissant. Tu t’es laissé vivre ce plaisir tout à fait rococo que proposent Justine Laberge et David Bussières, suivant ces fioritures légères qui ne trouvent leur raison d’être que dans un excès assumé.

Te voilà à nouveau dans cette situation délicate où tu baignes dans une sorte d’aubier culturel. Il y aura toujours quelque chose d’agréable à réécouter ce CD. Et pourtant, quand tu y réfléchis, n’est-il pas intolérable que tu endosses une chanson comme Les Jours de pluie qui semble encourager à se fermer les yeux sur les malheurs du monde? Tu n’as qu’à te dire que c’est une dénonciation et que tous le comprendront ainsi.

Laisse faire. "Rendors-toi./ Ce n’est pas encore la fin du monde." Profite de ce que tu as à vivre.