Pop Culture : La scène saturée
Au détour de son nouveau blogue personnel, j’ai eu une petite correspondance avec Dario Larouche, homme de théâtre et dramaturge. Dans la situation actuelle, alors que pullulent les productions théâtrales dans la région – Les Monstres de l’orgueil des 100 Masques, Le Festin à La Rubrique, Roméo et Juliette de William Shakespeare, revue et corrigée par le Théâtre du Faux Coffre, sans compter les productions estivales de statut non professionnel, ni les grands spectacles qui en mettent plein la vue aux touristes (Expressio, La Nouvelle Fabuleuse, Ecce Mundo) -, la scène régionale frise la saturation, l’éponge dramaturgique est engorgée, et le public a de quoi s’en mettre dans le gosier jusqu’à plus soif.
Cette situation n’est pas sans soulever quelques interrogations. Avec mon regard extérieur de chroniqueur, je me suis souvent penché sur la saturation de l’offre théâtrale. Presque invariablement, lorsque j’aborde le sujet avec l’un ou l’autre des comédiens ou metteurs en scène de la région, ils avouent avoir quelque inquiétude à ce sujet. Parce que si pour les uns le nombre de pièces présentées chez nous est le gage d’une indéniable vitalité, plusieurs craignent que l’intérêt du public ne suive pas la même courbe, et qu’au lieu de favoriser une amélioration de la qualité du produit théâtral, la compétition n’arrive qu’à tuer le milieu à grands coups de théâtre, se divisant un public au demeurant pas très nombreux.
Le problème, c’est que tout le monde veut bien aborder le sujet dans le secret d’une entrevue, ou alors officieusement en sirotant un café, mais il ne faudrait pas jeter de pavé dans la mare. "L’enfer est pavé de bonnes intentions", comme dirait l’autre. Force est d’admettre que la scène théâtrale régionale a aussi un pavage d’enfer…
Je pense que ce qui rend la situation aussi délicate, c’est que chacun se sent personnellement trop fragile. La crainte étouffe la plainte. Parce que si on se rendait compte, finalement, que le milieu est trop petit, il ne serait pas long avant qu’on ne propose de couper quelque part. Et personne ne veut perdre une place chèrement acquise.
Il est vrai qu’en général, si on se rend compte que l’offre est plus importante que la demande, la solution la plus facile est de diminuer l’offre pour rétablir l’équilibre. Toutefois, les théories du libéralisme économique et la culture ne font pas souvent bon ménage. La solution la plus efficace, lorsqu’on parle de culture, c’est plutôt de travailler au développement de la demande – ce qui exige plus de temps et d’investissement.
Je ne nie pas qu’il y ait déjà un travail de fait dans l’ouverture de nouveaux marchés – j’ai déjà souligné à plusieurs reprises l’importance de l’énergie déployée par La Rubrique ou par l’organisation du festival Amodivertis pour favoriser l’émergence d’une culture proprement théâtrale chez nos jeunes. Le problème, c’est que l’énergie dépensée pour cela est confinée aux structures déjà établies.
Le Festin, finaliste pour le Masque de la meilleure production régions en 2006, a repris l’affiche hier. La pièce sera présentée jusqu’au 11 août à la salle Pierrette-Gaudreault.photo: Jean Briand |
Me voilà Candide, ou Justine, ou Don Quichotte… On me bat ou je bats le vent, peut-être, mais je crois que ça prend des projets pour que l’art peuple le territoire, des attentats poétiques et théâtraux, des événements qui frappent l’imaginaire – par exemple la machine à poésie de Jonathan Boies, ou encore les amusantes pénétrations des Clowns Noirs dans les rangs de la platitude sociale. Il faut impérativement arrêter de croire que le public va se développer tout seul, ou qu’il suffit de présenter quelques pièces dans les écoles pour assurer l’avenir du théâtre. C’est nécessaire, et il ne faut certainement pas que ça cesse… Mais ce n’est pas suffisant.
Il faut que tonnent la poésie et le théâtre, que des déflagrations culturelles se fassent entendre. Que des cellules se soudent et les fassent s’exprimer. Sans les renier, il faut que le milieu théâtral refuse d’être à la solde des structures déjà existantes, qu’elles soient scolaires, municipales, gouvernementales ou médiatiques.
Évidemment, la reconnaissance de tous ces acteurs, trop souvent effacés, est primordiale. Évidemment, à très court terme, leur support pour l’un ou l’autre des projets d’une compagnie de théâtre change la donne… Quand un média décide de cibler une production pour la mettre à l’avant-scène, il y a probablement une influence directe sur l’affluence de spectateurs. À moins qu’il s’agisse d’une critique particulièrement assassine, le contraire serait surprenant. Mais je reviens au noeud de ma réflexion. À long terme, il est préférable de se préoccuper de la demande.
Un journal qui traîne une semaine sur le coin d’une table, zieuté par quelques milliers de personnes qui sont déjà spontanément intéressées par la culture – puisqu’elles prennent le temps de lire sur le sujet -, ça ne changera pas la situation. Cela dit sans réduire l’importance des journalistes et autres scribouillards de culture, on s’entend.
Le théâtre doit envahir les rues, pénétrer les maisons, surprendre d’ingéniosité, briser les modèles établis, grafigner, faire grincer des dents… Qu’une véritable anarchie culturelle règne enfin, pour susciter chez le public une inassouvissable soif.
Je veux bien lancer mon pavé dans cette révolution. Mais j’ai cessé de croire que mon pavé lancé fera à lui seul la révolution.
Pour visiter le blogue de Dario Larouche: Dario1977.blog.fr