Société

Desjardins : Du rêve au cauchemar

Des vacances estivales, on émerge péniblement, comme tiré d’un demi-sommeil. Cotonneux, les yeux bouffis, le regard hagard, devant nous les choses reprennent soudainement leur consistance, leur dureté. Tandis que l’été sénescent tire sa révérence, la réalité réclame ses droits, balayant d’une chiquenaude la fiction d’une vie d’insouciance.

Ainsi sont passées, comme des cartes postales lues en diagonale, puis redéposées négligemment dans la boîte aux lettres, les nouvelles pourtant atterrantes de la mort de Bergman, Antonioni et Serrault, ou la vérité sur les derniers instants de Jim Morrison, qui aurait en réalité claqué d’une overdose sur les chiottes d’un bar, et non d’un arrêt cardiaque dans son bain, comme le voulait la légende à laquelle personne ne croyait de toute manière.

Vous aurez compris que je n’ai pas beaucoup lu les journaux pendant ces deux semaines, mais un peu quand même. Sauf que les nouvelles les plus graves m’apparaissaient soudainement dérisoires, comme solubles dans la plage, les bébés couverts de sable, les orages d’été, les bikinis et les cocktails sur la galerie. Prenez la page éditoriale du New York Times de mardi dernier. J’y ai appris l’histoire de ces 100 000 mitraillettes Kalachnikov AK-47, autant de casques et de vestes anti-balles et 50 000 pistolets automatiques destinés aux forces irakiennes, tout un lot d’armes disparu en fumée, envolé sur un tarmac ou dans un convoi, on ne sait trop exactement. L’argent des contribuables américains au service de la guérilla ennemie, because le Pentagone dort au gaz. Cela n’a rien de drôle, loin s’en faut, c’est même tragique, et pourtant, j’ai souri comme un con en lisant cela. Trop d’absurdité et une légère intoxication de farniente seraient en cause.

Tellement smooth, je n’ai pas même hurlé en entendant Lise Payette – chez Masbourian – comparer les filles de La Galère aux pauvres medames éplorées de ses Dames de coeur. Juste un léger grincement de dents en l’écoutant dire que, dans un cas comme dans l’autre, les hommes avaient levé les feutres, laissant les femmes s’occuper de tout. Peut-être que je me goure, grand-maman Lise, mais me semble que ce sont les filles qui crissent leur camp dans La Galère, non?

Anyway.

Puisque toute bonne chose a une fin, revenu de vacances, j’ouvre Le Soleil pour y découvrir que notre mairesse ne s’est apparemment pas lassée de laver son linge sale en public. Mes jours, liquides au cours des deux semaines précédentes, sont soudainement redevenus solides et rêches comme les pierres qu’empile le quotidien qui reprend sa ritournelle. Refrain répété jusqu’à l’insupportable.

Il aura donc fallu une autre pénible grand-mère pour me faire finalement sortir de mes gonds. Comme si elle avait guetté mon retour pour me le pourrir.

En lisant ses déclarations lapidaires à l’endroit du comité chargé d’organiser les fêtes du 400e, lancées avec une stupéfiante désinvolture, j’en suis venu à me dire que, de deux choses l’une: ou bien la mairesse Andrée Boucher craint qu’on ne l’associe à un possible échec des fêtes d’anniversaire de Québec en 2008, se dédouanant comme elle l’a fait cette semaine en confiant à une journaliste ses nombreuses doléances à l’endroit de la Société du 400e, ou bien elle a oublié qu’elle n’est plus gérante d’estrade au FM 93, mais bel et bien mairesse de la capitale. Auquel cas il faudrait peut-être que quelqu’un le lui rappelle afin de nous sortir de ce mauvais rêve dans lequel elle nous entraîne jour après jour depuis son élection.

(Parenthèse: vous observerez ici une rupture de ton dans cette chronique qui, quelques paragraphes plus haut, se frictionnait encore les yeux pour en arracher les derniers lambeaux de rêve estival qui s’y accrochaient. C’est que la mairesse Boucher agit comme la matière étrange, cette chose mystérieuse dont sont composés les trous noirs dans l’univers, et qui aspirent en eux des planètes, des étoiles. Mme Boucher, elle, suce tout le potentiel de poésie du monde pour en faire un spectacle désolant, composé de fiel, d’une insupportable certitude de détenir la vérité.)

J’ai beau partager presque chacune de ses opinions concernant l’inefficacité de l’organisme en charge de la fête, son incapacité à faire lever l’enthousiasme de la population malgré la publication d’un dépliant au début de l’été, censé nous mettre en appétit alors qu’il nous laisse plutôt sur notre faim, l’attitude revêche, le chapelet de sarcasmes et de réprimandes publiques me scient en deux.

On s’attend de nos élus qu’ils fassent preuve d’un minimum d’honnêteté, de franchise. La mairesse semble prendre la chose au pied de la lettre, et en bonne maîtresse d’école, elle continue de distribuer les coups de baguette plutôt que de faire preuve d’un minimum de discrétion et de classe. D’un certain devoir de réserve.

Mais ce que l’on attend surtout de nos élus, c’est qu’ils usent de leur leadership afin de catalyser l’énergie de tous ceux qui participent à des projets d’envergure. On s’attend à ce qu’ils se démènent en coulisses pour livrer bataille de front, avec leurs alliés, malgré les dissensions. Pas à ce qu’ils les fassent fusiller sur le pont du navire juste avant de mener l’assaut final.

Tout ça pour vous dire que l’été fut splendide, qu’il a passé vite, mais que l’automne s’annonce bien long, et surtout laid.

Le pire, c’est que je vous soupçonne de trépigner d’impatience.