Pop culture : Le siège
Société

Pop culture : Le siège

Depuis trop longtemps, peut-être, l’homme cherche à faire entendre raison à la nature. Aujourd’hui, cette grande Dame a l’esprit qui s’échauffe; indocile, elle répond de rebuffades de plus en plus violentes aux avances insistantes de l’homme.

L’humanité se sent de plus en plus coincée, en état de siège. Enfermée dans un monde devenu trop petit à force de le voir plus grand que nature, elle subit de plus en plus les contrecoups de son appétit démesuré. Le vêlage des glaciers se fait à un rythme effréné, gonflant d’orgueil une mer qui promet les pires vengeances… Des histoires d’horreur qui se dessinent dans les modélisations climatiques des scientifiques.

Dans une autre vie, alors que j’étais encore sur les bancs d’école, je m’étais payé un cours de climatologie. Le vieux prof, grincheux et désabusé, vilipendait les "scientifiques" – à tout coup on sentait les guillemets quand il en parlait – qui cherchent à faire des projections quant à l’avenir du climat de la planète. Son argumentation était simple (d’aucuns diront simpliste): la planète a depuis toujours le climat changeant, alors de quel droit l’homme affirme-t-il que cette fois, il en serait la cause? Il était virulent envers ses propres collègues qui, selon lui, alimentaient volontairement un climat de panique avec leurs prédictions catastrophiques pour mieux profiter de la manne; semble-t-il qu’il y aurait de la piastre à faire sur le dos des changements climatiques… Ce serait le nouvel eldorado pour les scientifiques qui se graisseraient la patte à grands coups de tsunamis inventés, d’inondations apocalyptiques, de sécheresses cauchemardesques, de cataclysmes impensables. Les devins d’aujourd’hui auraient depuis longtemps abandonné les entrailles fumantes, les osselets et les omoplates de caribous pour lire notre ruine dans les runes du temps qu’il fait.

Le pauvre type a finalement pris une retraite précipitée, au beau milieu du trimestre, ce qui donnait plutôt l’impression d’un limogeage à peine voilé. De quoi donner du poids (à l’époque) à son argumentation farfelue.

En fait, le problème vient peut-être de l’esprit scientifique lui-même. La science a toujours cultivé le doute avant d’échafauder une certitude, même sur ce qui est bien réel. Alors quand vient le temps de prédire l’avenir… C’est plutôt le doute qui devient réel.

Aujourd’hui, il me semble qu’on ne peut toutefois plus nier qu’il se passe quelque chose. D’une recherche à l’autre, on s’entend sur certains faits. Depuis 1976, la température moyenne de la planète aurait augmenté d’environ 0,6 degré Celsius, avec quelques variations selon l’endroit où ont lieu les observations sur le globe. Plusieurs glaciers de montagne, qui grimacent depuis si longtemps, ont la langue un peu moins bien pendue… Et les neiges éternelles perdent chaque année un peu plus de leur éternité. La banquise – glace de mer – se retire plus tôt au printemps… laissant dans l’eau jusqu’au cou phoques et ours polaires. De plus, on avance que les précipitations se seraient accrues de 10 à 20 cm dans l’hémisphère Nord au XXe siècle, et que les ouragans de force 4 et 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson auraient sensiblement augmenté au Mexique et aux États-Unis.

Évidemment, on ne collige pas de telles données depuis des milliers d’années. Toutefois, pendant qu’une poignée de pays – dont le Canada – se déchirent les lambeaux d’un Nord qui se laisse mieux aborder, s’arrogeant sa glaciale virginité en fantasmant sur les richesses dont il regorge, les quidams comme moi prennent de plus en plus conscience de la portée des changements climatiques, qui impliquent tous les aspects de la vie humaine. Alors que la science n’a pas encore évalué toutes les incidences du phénomène, ni même la part de l’homme dans tout ce désastre, d’aucuns tentent des hypothèses quant à la façon dont il serait préférable de réagir. Vaut-il mieux chercher à freiner le processus? Faut-il tenter de s’y adapter?

Pendant que les scientifiques, peut-être pour la première fois de l’histoire, nous demandent d’avoir la foi, de croire plutôt que de douter, l’imaginaire collectif s’emballe. Les faits les plus anodins deviennent alors des preuves tangibles de l’évolution dramatique du climat. Loin des alliances et des folles intrigues du monde scientifique, les artistes sont aussi sensibles à la situation. Les changements climatiques ont une indubitable portée culturelle. En fait, c’est peut-être la seule certitude dans le dossier du climat. Quand même les scientifiques doivent se fier à leur imagination, les créateurs ne peuvent qu’être stimulés dans leurs propres recherches… C’est en tout cas le pari de Séquence qui, dans le cadre de la biennale Trafic’Art, a invité des artistes en provenance de plusieurs pays à assiéger la ville pour se pencher sur le sujet des changements climatiques.