Pop Culture : La mutation nuptiale
Elle a revêtu sa robe blanche. L’orgue s’essouffle à faire vibrer les dorures et les vitraux tandis qu’une chorale très enthousiaste s’égosille avec une passion extatique. La famille rassemblée a crucifié la marmaille sur les bancs de bois pour ne pas déranger l’officiant dans ses très sérieuses oraisons. La vieille tante donne du coude à son mari qui cligne de l’oeil dangereusement tandis que les cousins assis en retrait blaguent en attendant que le temps passe. Justine, quant à elle, dans le temple sacré, commence à stresser. Elle a oublié de jeter sa gomme avant d’entrer et voit venir l’heure de la communion avec une certaine inquiétude.
Plus tard, quand on aura fait bombance, consommé la Danse des canards, la Macarena et autres tubes vides pour noceurs éméchés, le couple retournera crevé à la maison, traverser ce qui sera peut-être la nuit la moins romantique de sa vie. Tant pis. Fallait bien passer par là.
Ce qui était naguère une institution respectée n’a plus le lustre d’antan. Trop de gens se marient à l’église pour les mauvaises raisons. Si j’étais prêtre, je refuserais net de célébrer l’union de quelqu’un comme moi, même de baptiser ses enfants. S’il est vrai que la foi se mesure mal, il faut être aveugle pour croire que tous ceux qui s’unissent devant l’autel le font véritablement par conviction.
On le fait pour la robe blanche. Pour ne pas heurter la famille. Parce que c’est comme ça que ça se fait. Par dépit. Parce qu’il n’y a pas d’alternatives intéressantes.
C’est triste.
Les rituels de passage sont de toute façon présents dans nos vies, mais ceux qui subsistent ont très souvent perdu leur valeur spirituelle. La démocratie a fait mal à l’Église – comme aux autres religions de l’Occident. À une époque où la spiritualité se consomme à la carte parmi un choix de plus en plus élaboré, alors qu’il n’y a plus aucune vérité qui vaille, le mariage est devenu une vraie mascarade. C’est l’amour qui devient exhibitionniste, qui se donne en spectacle sur une scène usée, le concert clinquant et faux de deux individus qui continueront de vivre, peinards, la même vie qu’auparavant.
Stéfanie Tremblay pousse les visiteurs à se questionner quant aux symboles de pureté et de virginité qu’incarne la robe de mariée. photo: Jean-François Caron (Stéfanie Tremblay) |
Autrefois, le mariage était la seule entrée possible pour tout l’univers de la vie de couple, sa tendresse et ses élans de chair, l’enfantement et la propriété… Aujourd’hui, ça fait plutôt penser aux portes des décors de Passe-Partout. Vous savez, ces étranges seuils sortis de nulle part, en plein milieu d’un espace sans bornes visibles. Comme un battant en plein champ. On peut toujours emprunter cette superbe porte. Mais aujourd’hui, c’est si facile de passer à côté qu’on comprend mal l’importance qu’on accordait encore à l’institution du mariage, il n’y a pas si longtemps.
Le Lobe présente actuellement le travail d’une jeune artiste, Stéfanie Tremblay, qui s’intéresse à la désacralisation des symboles du mariage religieux. Loin de s’attaquer à l’Église, elle en devient presque une alliée inattendue, interrogeant la façon dont les puissants symboles de la cérémonie nuptiale ont perdu leur force d’évocation initiale pour se délayer dans une vision romantique, voire pathétique.
L’univers très particulier de Tremblay, auquel nous donnent accès les photos-romans, couvertures de revues factices, vidéo et photos dont elle est l’auteure, n’ébranle pas directement l’institution du mariage, mais l’industrie qui s’y rattache.
La force d’évocation de la robe blanche est particulièrement bien exploitée par Tremblay. Représentant autrefois la virginité et la pureté de la future épouse, elle est aujourd’hui le symbole qui se voit le plus souvent impunément violé. M’est avis qu’il ne doit pas y avoir plus qu’une poignée de femmes qui méritaient véritablement de la porter dans les dernières années…
Le problème vient du fait que, pendant que la valeur des symboles nuptiaux périclitait, aucune solution de rechange véritablement solide n’était proposée à ceux qui aspiraient aux épousailles. Avec la pauvreté symbolique des cérémonies civiles, il était toujours plus intéressant de se tourner vers l’Église, même sans véritablement être porté par une foi inébranlable dans les dogmes catholiques. Parce que l’être humain a besoin de symboles.
Démocratie aidant, les options sont toutefois de plus en plus nombreuses. Comme dans les vieux pays, des cercles laïcs – qui se disent démocratiques et adogmatiques, soit sans gourous ni textes sacrés – commencent à s’établir au Québec. On cherche des symboles qui transformeraient le monstre de foire qu’est devenu le mariage en un seuil véritablement signifiant. Ça fait réfléchir. Comme quoi il n’y a pas que l’identité du Québec qui est au banc d’évaluation, mais aussi sa spiritualité. Quand une nation se remet en question…