Société

Desjardins : Le cirque à la cour et au stade

Je m’attendais à un cirque, sauf qu’il n’y en a pas eu.

Tout juste quatre caméras de télé, autant de kodaks pour les photos, une poignée de journalistes que vous reconnaîtriez peut-être pour les avoir vus se profiler quelque part dans l’arrière-plan d’un point de presse. The usual suspects. Un peu à la bourre, suis arrivé tandis que l’avocat de Myriam Bédard s’adressait déjà à la presse. Première journée de procès où l’ancienne athlète olympique est accusée d’avoir enlevé sa fille, sélection du jury, déclarations sobres mais théâtrales du procureur de la défense, Madame B qui promène un sourire noir entre les salles d’audience… Ayant surtout pratiqué le journalisme culturel, un peu d’actualité, mais jamais de judiciaire, j’assiste pour la première fois à la chose, suis donc curieux de tout. Une consoeur de ma connaissance m’a cependant prévenu, m’expliquant sommairement le déroulement de l’assommante journée qui commençait, et j’ai compris qu’elle voulait dire: ça va être long, tu vas t’emmerder bonhomme.

Disons que j’étais surtout le plus déçu de la gang. Moi qui étais justement venu ausculter leur frénésie de journalistes, relever leurs questions nunuches et mesurer leur empressement à relayer de l’information archi-poche, je les ai finalement trouvés bien patients. Exemplaires, en fait. Assis là, sagement, à tout prendre en note, à relever chaque détail, même si j’avais parfois l’impression que leur entêtement à grappiller chaque petite info relevait moins du professionnalisme que de la nécessité. Car dans l’exaspérante lenteur du processus de la cour, chaque inscription au carnet est le rappel de sa présence ici, une manière de justifier qu’on soit scotché à son siège, regardant défiler la cohorte d’éventuels jurés en sachant qu’on ne pourra rien en dire, rien raconter.

De mon côté, à défaut de pouvoir recueillir les délires de cet évadé d’un mauvais album de Tintin qu’est Nima Mazhari, je m’entretenais avec quelques freaks de la cour, du genre à passer tous leurs temps libres au palais de justice, et à connaître intimement le personnel de l’endroit qui les pistonne sur de nombreux détails que même les journalistes ignorent. Détails qu’il faut par ailleurs vérifier et contre-vérifier, puisque j’ai aussi pu constater qu’il leur arrive de dire un peu n’importe quoi pour se rendre intéressants.

Bref portrait type: celui qui est assis devant moi pendant la sélection du jury a 56 ans. Commis de bureau à la retraite, il a encaissé ses REER pour suivre la cour en direct. Pas l’air désoeuvré, plutôt sympa, mais passablement téteux: il fait penser à ces papys qui s’enracinent devant les chantiers de construction pour remettre en cause les compétences de l’opérateur de pelle mécanique.

Je m’attendais à un cirque, disais-je, mais qu’il n’y en ait pas eu ne me rassure pas tant que ça sur l’état de ma profession.

On serait porté à croire qu’en cette période de l’année où l’information se densifie, on a un peu moins de temps à consacrer aux conneries de nos héros déchus. Mais je me répète encore: ça ne fait que commencer. Dans les prochains jours, sans doute aurons-nous quand même droit à d’exhaustifs comptes rendus de cette saga: une banale histoire de chicane concernant les modalités de la garde d’un enfant, magnifiée par la célébrité et le désir de la presse de ne jamais être devancée par la concurrence au rayon du people, du scandale, du plaisir de l’un qui est de voir l’autre se casser le cou.

Je m’attendais à un cirque, il n’y en a pas eu, pas encore, mais il suffira d’un détail croustillant, d’une demande farfelue de la défense ou d’un témoignage loufoque pour que tout bascule, et que s’amènent les clowns, les éléphants et les acrobates de l’information. Je ne les ai pas encore vus, mais j’ai senti leur présence, en coulisse, prêts à bondir dans l’arène.

Tenez-vous bien assis, restez devant la télé, le pire est à venir. Promis juré.

ooo

C’était une semaine de premières fois. Première fois à la cour pour un procès, et première fois au stade du Parc Victoria pour un match des Capitales. Évidemment, comme j’ai choisi la journée la plus ennuyeuse du procès de Myriam Bédard, me suis pointé au baseball pour voir l’équipe locale perdre la partie, et du même coup, sa chance de participer aux séries. Quelle guigne, pareil.

Et Dieu que ce fut long. Sans les nombreuses bières, la bouffe de stade, les propriétés hypnotiques du vert incandescent de la pelouse qui vibre sous les spots au sodium et l’hilarant mongol éthylisé qui hurlait sa déception derrière nous, je n’aurais probablement pas survécu à l’interminable match de dimanche, entrecoupé de concours débiles, de spectacles donnés par de navrantes cheerleaders à peine pubères, jeunes filles qu’un autre voisin, prototype du connard de stade patenté, matait en bavant comme un chien lobotomisé.

Autre moment de découragement concernant l’avenir de l’humanité: de toute la partie, rien n’aura fait crier la foule aussi fort et avec autant de passion qu’un ridicule tirage de pizzas.

N’empêche que cela m’a rappelé, puisque mes références sportives sont généralement littéraires, le prologue que Don DeLillo a finement tissé pour introduire le tortueux fil narratif de son immense ouvrage Outremonde dans le chas de l’esprit du lecteur. C’est l’histoire d’un coup de circuit légendaire, en 1951, l’histoire d’une balle envoyée dans les gradins, une balle de championnat qui vient sceller le sort des deux équipes en neuvième manche. Une balle blanche qui palpite dans la main du jeune Noir, Cotter, alors qu’il la subtilise à son voisin blanc, Bill, leurs mains se la disputant sous les sièges dans un ballet surréaliste avant que Cotter ne s’enfuie avec.

Je n’aime pas trop le baseball, sans doute parce que je le connais mal, mais je comprends la place que le sport occupe dans l’imaginaire collectif américain, dans l’histoire du pays, et surtout, son utilisation comme métaphore de la vie qui explique peut-être son agaçante omniprésence dans la littérature: c’est lent, souvent laborieux, cryptique; c’est un jeu dont on saisit mal la finesse des tractations en coulisse et les stratégies qui vont départager les gagnants des perdants. C’est la vie non pas dépeinte comme un sport dangereux, mais comme de longues et mystérieuses plages d’ennui ponctuées de courts moments d’une divine exaltation.

C’est l’individu au marbre, seul face au monde. C’est la foule qui, ensemble, soudée par sa clameur, touche au sacré dans cette communion sportive. Entre deux pitounes qui se trémoussent comme des putes et un tirage de pizzas.