Société

Desjardins : C’est facile

Il existe un dicton à propos de la radio qui prétend qu’on n’écoute jamais la meilleure émission, seulement la moins pire. Notez que je suis plutôt d’accord. C’est probablement ainsi que les milliers d’auditeurs font leur choix: par instinct de survie, pour ne pas mourir d’ennui dans les innombrables bouchons automobiles qui sont le quotidien de cette industrieuse rentrée d’automne pré-400e.

Mais voilà, si on exclut Radio-Canada (1) et les quelques fréquences alternatives, nous sommes devant un dilemme qui donne surtout envie de revisiter notre collection de disques: une talle de shows atrocement inégaux qui empruntent tous plus ou moins la même forme, bourrés de pub au-delà de l’excès, où des animateurs grugent presque tous le même os dans une déplorable convergence des idées.

Les méchants gauchistes, les politiciens véreux, la culture que l’élite se paye à même nos impôts et autres petites misères du genre.

Je vous ai déjà parlé de mon masochisme médiatique, cette regrettable habitude que j’ai de m’attarder aux trucs que je déteste le plus, ceux qui m’enragent et me rendent à moitié dingue. Remarquez que je le fais évidemment en raison d’une malsaine curiosité, mais le plus souvent pour me rassurer sur mes capacités intellectuelles pourtant limitées. Par exemple, si je tombe sur Stéphane Dupont à CHOI le midi, me voilà soudainement plongé dans une version parfaitement distordue de la réalité où je me prends à rêver d’impossibles prix Pulitzer.

Vous aurez compris que les changements radiophoniques de la rentrée de cette année ne m’excitent guère. D’ailleurs, des changements, c’est vite dit. Parent au 93? C’est encore Parent. Même show qu’avant ou presque, mais sur une autre fréquence. Enfin, ce sera vraiment le même show quand il aura récupéré son équipe habituelle, en partie forcée de bencher afin de respecter une clause de non-concurrence. PY le matin à Énergie? Ça ressemble à PY le midi; mais si sa juvénile arrogance n’est pas toujours désagréable, au détour d’un interminable log de pub, d’un sketch de Pérusse, d’une entrevue avec une védette de la tivi et d’une toune poche, je m’impatiente vite et zappe. Comme je le faisais quand il était du midi. Gasse l’après-midi à CHOI? Pauvre Stéphane. Nous avons travaillé ensemble dans une autre vie, et je l’aime d’amour, vraiment. Un authentique bon gars, probablement un des animateurs les plus doués, un naturel. Mais ce garçon est décidément né pour souffrir professionnellement. Après s’être retrouvé pris en sandwich entre Gillet et Arthur, avoir subi Andrée Boucher et s’être tapé le son de canisse du AM, le voilà qui, en plus de se voir confier la case la plus sensible de la station (celle de Parent, déménagé au 93), il doit la partager avec l’ex-TQS Jérôme Landry. L’horreur, mon vieux, l’horreur. Mais surtout l’ennui.

En fait, depuis que le CRTC et les tribunaux ont châtré la radio de Québec, elle patauge dans un triste marasme. Le même Landry s’épanchait d’ailleurs sur la question hier, s’appuyant sur ma précédente chronique, plutôt acidulée, pour étayer une hasardeuse assertion concernant l’inégalité entre la presse écrite et les médias électroniques qui, eux, doivent répondre de leurs actes devant le CRTC, et sont donc plus ou moins muselés par cette épée de Damoclès.

Sur le fond, il n’a pas tort. Le Conseil de presse est une sorte de caniche édenté si on le compare au CRTC. Mais dans la pratique, ce qu’il déplore est parfaitement ridicule. Parce que l’inégalité n’est pas là où il la voit.

s’il fallait prendre toutes les insultes proférées dans les journaux et les mettre bout à bout, s’il fallait étudier tous mes textes, ceux de Martineau, de Foglia, de Ronald King, de Jacques Samson, de Gil Courtemanche, de Nathalie Petrowski, de Michel Vastel, de Pat Lagacé et des autres, s’il fallait prendre tout cela et en extraire l’ensemble de nos méchancetés, leur somme n’équivaudrait pas à 2 minutes d’un Jeff Fillion bien remonté, pas même 5 d’Arthur qui l’échappe, ni même 12 de Gilles Proulx sur les caps de roues.

Une analyse comparative, même de surface, rend toute forme de contestation de cette injustice parfaitement dérisoire.

Mais il paraît que nous l’avons facile, nous, les chroniqueurs à l’écrit. Paraît qu’il n’y a rien de plus aisé que d’observer son prochain et lui trouver des crosses. On est encore une fois dans le malentendu de la critique à une époque de rectitude qui commande que, peu importe si la personne devant nous fait preuve de bêtise, d’ignorance, qu’elle propage avec hargne des montagnes de sottises, on doive la traiter avec respect en essayant de comprendre son point de vue.

La véritable facilité de notre époque? Elle est dans la dégoulinante unanimité, dans notre mollesse, dans le droit inaliénable à la connerie et le refus de la dénoncer, sous prétexte, justement, que ce serait trop facile. Ce qui n’est pas complètement faux, remarquez, puisque la niaiserie est malheureusement légion.

Pour s’en convaincre, suffit d’allumer la radio.

(1) Certains lecteurs attentifs remarqueront que je ne commente pas le travail de l’équipe locale de la radio de Radio-Canada. Non seulement dois-je vous féliciter pour votre sens de l’observation, mais je vous dois aussi quelques explications. C’est que j’y travaille un peu, une fois la semaine comme chroniqueur, et je me vois bien mal dire tout le bien que je pense de la radio qu’on y fait sans passer pour le plus infâme des téteux. Ce qui ne m’empêche pas d’y trouver quelques sujets dignes de me faire grimper dans les rideaux: le rire pornographique de Gregory Charles, le ton professoral de Maisonnneuve et la soupe cosmique de Languirand, pour ne nommer que ceux-là.