Georges Leroux : Une école, des religions
Le philosophe Georges Leroux signe un vibrant plaidoyer en faveur du nouveau programme scolaire d’éthique et de culture religieuse, dont il a participé à l’élaboration.
Ce nouveau programme pédagogique n’a-t-il pas été principalement conçu pour laïciser une fois pour toutes l’école au Québec?
Georges Leroux: "Après une longue tradition d’enseignement religieux confessionnel, l’école québécoise s’apprête à franchir une étape-clé de son histoire. Pour la première fois, à la rentrée de septembre 2008, tous les élèves québécois, de la 1re année du primaire jusqu’à la 5e année du secondaire – à l’exception de la 3e année du secondaire qui sera exemptée parce que le programme éducatif est trop chargé -, entreront dans une école où chacun doit être accueilli comme il espère être accueilli dans la société dont il sera un citoyen: avec ses droits et ses devoirs, et en tout respect de son identité. Chacun y pénétrera en conservant l’identité qu’il tient de sa famille et de son milieu, et il ne sera pas invité à y renoncer en s’en dépouillant artificiellement. Chaque élève entrera dans l’école comme dans une société où les identités sont à la fois communes et multiples. L’école laïque n’est pas l’école de ceux qui ont renoncé à la religion et qui tolèrent en les méprisant ceux qui lui conservent une place dans leur vie, elle est l’école du respect de la liberté de religion et de la liberté de conscience de tous. L’athéisme et l’agnosticisme y trouvent une place aussi légitime que la croyance. La démocratie à l’école est à ce prix."
Quelles sont les principales caractéristiques de ce programme?
"Ce nouveau programme est l’un des plus grands chantiers de l’éducation dans le Québec du 21e siècle. C’est le résultat d’une longue maturation. Il a été conçu selon la nouvelle approche par compétences, issue des réformes fondamentales dans le domaine de l’éducation en cours au Québec. Ce programme est basé sur trois compétences: réfléchir de manière approfondie sur un problème moral – accéder au principe de l’éthique; manifester une compréhension éclairée des phénomènes religieux; et pratiquer le dialogue dans une perspective de vivre-ensemble sur le plan social et politique. Ce programme a été expérimenté durant toute la dernière année dans une dizaine d’écoles, publiques et privées, d’orientations diverses. Les résultats obtenus sont très encourageants. Un des plus grands défis est indéniablement la formation des enseignants qui dispenseront ce nouveau cours. Il faut d’abord qu’ils pénètrent la structure du programme et en adoptent les finalités dans l’approche par compétences, qui est désormais celle de tous les programmes éducatifs au Québec. Ces enseignants recevront durant toute l’année prochaine des formations spéciales."
À une époque de mondialisation où les confusionnismes ont pignon sur rue, ce programme ne risque-t-il pas de transmettre aux jeunes une image tronquée et réductrice des grandes religions?
"C’est une très grave question. Les concepteurs de ce programme en ont discuté pendant des heures. Cette question comporte un volet qu’on pourrait appeler "relativiste", c’est-à-dire l’effet pizza – excusez-moi pour ce mot! Aujourd’hui, les jeunes ont le sentiment qu’on leur met sur un même plateau des croyances religieuses qui s’équivalent: le christianisme, le judaïsme, l’islam, le bouddhisme… Ils nagent ainsi dans l’amalgame total. C’est la situation dans laquelle nous sommes dans notre monde contemporain. Nous nous retrouvons tous dans un grand marché bigarré des valeurs et des religions. Au Québec, les catholiques sont aussi dans ce mouvement, ils basculent tout. Comment contrer ce phénomène inéluctable? Chose certaine, on ne peut pas prendre l’avenue confessionnelle. Ceux qui sont intéressés par la confession, et il en reste plus qu’on pense, ont toujours le choix de l’engagement dans une communauté. Les paroisses, les synagogues, les mosquées… ne vont pas disparaître. Mais un jeune qui va à l’école ne vient pas chercher la confession, mais la connaissance."
Il doit y avoir des professeurs très réfractaires à la mise en oeuvre de ce programme éducatif?
"Il y a déjà, bien sûr, des réactions extrêmes. Il y a des professeurs qui vont devoir changer de posture. Ils ne pourront plus avoir à l’école "la posture confessante". C’est en région, et pas à Montréal, qu’on trouve encore ces enseignants très "convaincus". On leur dit: "Vous étiez habitués à transmettre votre foi, vous allez pouvoir continuer à en témoigner. Mais si vous êtes bouddhiste et qu’un élève vous demande si vous croyez à la réincarnation, vous n’allez pas lui dire: ‘Je ne peux pas te répondre’, vous devriez lui dire: ‘Oui, j’y crois, mais je ne prêche pas l’adhésion à une religion.’" Ce programme n’a pas été concocté pour marginaliser et évincer complètement l’enseignement religieux. Les écoles privées qui le souhaitent auront la latitude pour jouer et moduler ce programme avec un enseignement confessionnel."
Quelle place occuperont dans ce programme les grands mythes fondateurs des religions monothéistes?
"Ce nouveau programme n’a pas pour but de "démythologiser" les croyances religieuses. Celui-ci doit présenter les croyances pour ce qu’elles sont et non pas les déconstruire et les déstabiliser. On n’a pas conçu ce programme pédagogique pour dire aux jeunes Québécois: "Quelle absurdité, ce boeuf; quelle sottise, prier à l’église…" Il a été plutôt élaboré pour leur dire: "Voilà des gens qui, historiquement, ont construit une religion que nous vous invitons à découvrir et à comprendre." Les jeunes Québécois sont de plus en plus internationaux. Ils voyagent aux quatre coins de la planète, en Inde, en Chine, en Afrique… Ils ont un incroyable appétit de l’autre. Moi, j’ai pleinement confiance en eux."
D’après vous, la seule solution au malaise identitaire qui sévit au Québec est l’école laïque.
"C’est sûr que cette solution qu’est l’école laïque, de même que la solution de la formation des jeunes pour les rendre plus libéraux au sens noble du terme, c’est-à-dire plus ouverts, plus pluralistes, plus démocrates, plus tolérants… sont des solutions pour éviter les durcissements du type de celui qu’on a vu dernièrement à Hérouxville. Je suis membre du comité-conseil de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. J’espère que cette commission valorisera et formulera comme recommandation des types d’initiatives comme ce nouveau programme d’éthique et de culture religieuse. Il n’y a pas de doute que tabler sur l’avenir, c’est commencer dès aujourd’hui à former les jeunes Québécois à l’ouverture à l’autre et au vivre-ensemble."
Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un programme de Georges Leroux, Éditions Fides, 2007, 120 p.