Société

Pop Culture : Un amour d’alphabet

D’aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours été fascinée par les dictionnaires… Par ce vieux Nouveau Petit Larousse illustré 1945 à la maison qui sentait le vieux sofa, dissimulé sous une couverture brune rabougrie. Ou ces gros volumes bleus ou rouges placés en rangées à la petite école avec l’estampe de l’institution scolaire dans le revers de la jaquette. Les pages y étaient souvent collées, voire arrachées et quelques élèves terminaient leur enseignement primaire avec une de ces briques dans leur demeure, sans trop savoir comment elle s’était retrouvée là.

Et même quand son utilisation était obligatoire et purement académique, je ne me lassais jamais de cheminer dans ses pages, à la découverte de ses mots, furetant à travers ses images et ses lexiques. Ce besoin de contact avec la matière semble généralisé puisque même si Internet a révolutionné nos habitudes et celles de l’enseignement, que les dictionnaires en ligne sont plus accessibles que jamais, ces gros volumes figurent toujours au rang des best-sellers de l’humanité. Et ma bibliothèque familiale n’est certes pas la seule à contenir un vieux Petit Larousse puisque ce dinosaure de librairie de plus de 100 ans se transmet de génération en génération.

Cela frappe l’imaginaire. Ainsi, lorsqu’on m’offrit de rencontrer le lexicographe et encyclopédiste Yves Garnier, à l’emploi de Larousse depuis 1976, membre du comité de direction de l’entreprise, je n’ai pas hésité une seconde. D’autant plus que les noms de Québécois "bien vivants" et d’institutions d’ici ajoutés cette année – le Cirque du Soleil, le chorégraphe Édouard Lock et l’auteur Fernand Ouellette – méritaient qu’on s’y attarde un peu. "C’est un métier qui permet de mettre de l’ordre dans le monde pour pouvoir en mettre dans le livre", ricane d’entrée de jeu mon interlocuteur au métier rarissime.

Lorsque le Petit Larousse est né en 1905, la civilisation, grandement analphabète, vivait surtout en milieu rural et voyageait en voitures à cheval… "C’était une époque où on donnait en quelque sorte des leçons dans le dictionnaire, notamment aux enfants. De 1905 à 1930, l’adverbe gaiement donnait pour exemple "marcher gaiement à la mort". Ça traitait alors du devoir de l’individu d’offrir sa vie à la patrie, de se sacrifier. Il y a d’autres exemples où la description indique qu’il faut travailler beaucoup, qu’il ne faut pas boire, qu’il ne faut pas être paresseux. C’était alors un ouvrage édifiant. La visée d’aujourd’hui n’est plus du tout celle-là, bien entendu." Le dictionnaire a donc évolué au fil des sociétés. "Dans les premiers Petit Larousse, il y avait tout le vocabulaire des machines à traction animale; a suivi le vocabulaire de la machine à vapeur, puis celui de l’électricité et des moteurs électriques. Aujourd’hui, c’est le vocabulaire de l’informatique, par exemple."

L’équipe du Petit Larousse a maintenant des antennes plantées un peu partout dans la francophonie mondiale de sorte qu’elle peut prendre le pouls de cette langue florissante. Au Québec, des gens de l’Office québécois de la langue française, de l’Observatoire de néologie du Québec et l’historien Denis Bourgeois agissent à titre de conseillers pour l’institution. "Nous avons des équipes semblables en Belgique, en Suisse et en Afrique et on voudrait aussi en implanter une dans le Maghreb et au Proche-Orient. Le Liban étant, par exemple, un pays où on parle beaucoup français."

Mais attention, on prend bien garde aux effets de la mode lorsque vient le temps de joindre de nouveaux termes. À titre d’exemple, les nouveaux noms communs québécois ajoutés cette année sont baladodiffusion, rallonge, traînerie, pour ne nommer que ceux-ci. Dans la version internationale, on trouve aussi blockbuster, criser et survitaminé, notamment. Je suis également heureuse qu’on y ait admis le mot blogueur(se); je n’hésiterai donc plus à utiliser ce titre pour décrire mon travail de rédaction de billets en ligne!

Pour les noms propres, les candidats doivent avoir une certaine notoriété, être reconnus par leurs pairs et avoir réalisé une oeuvre novatrice, susceptible de durer. En cette semaine où on célèbre le théâtre franco-canadien à Ottawa avec le Festival Zones Théâtrales, je soumets une candidature. Après Robert Lepage pour 2007, Édouard Lock pour 2008, je propose que l’on admette Wajdi Mouawad pour 2009! Cela correspondra ainsi avec sa première saison en tant que directeur artistique du Théâtre français du CNA – il entre en fonction ces jours-ci – et il est plus que temps que cet homme de théâtre de renommée mondiale et aux créations-fresques grandioses soit reconnu par l’empire Larousse! Bref, on s’en reparle à la rentrée 2008! En attendant, consultez votre Petit Larousse, dont l’achat vient avec un abonnement d’un an à l’Encyclopédie Larousse sur Internet; un outil complémentaire à la brique de 1814 pages! Quand les dictionnaires se mettent à l’ère technologique…