Mathieu Bock-Côté : La majorité refoulée
Société

Mathieu Bock-Côté : La majorité refoulée

La nouvelle identité québécoise multiculturelle, que s’escriment à forger les hérauts de la culture politique postréférendaire, n’est qu’une entreprise de séduction politique des plus délétères, soutient le sociologue Mathieu Bock-Côté.

Vous publiez ce livre au moment où le débat sur les accommodements raisonnables bat son plein.

Mathieu Bock-Côté: "Ce livre arrive au bon moment et j’en suis bien heureux, pour une raison simple. À écouter les journalistes, les commentateurs, ou même les coprésidents de la Commission de consultation sur les pratiques des accommodements raisonnables, Gérard Bouchard et Charles Taylor, qui incarnent bien la technocratie multiculturelle et chartiste actuellement au pouvoir, la crise identitaire actuelle n’a pas de vraie raison d’être. On reproche aux journaux d’avoir médiatisé à outrance certains événements. Ou alors, de manière plus pernicieuse, on accuse la majorité francophone de paranoïa en lui reprochant d’imaginer des problèmes là on il n’y en aurait aucun. Autrement dit, le Québec ne connaîtrait aucun problème avec le multiculturalisme."

Une assertion que vous réfutez vigoureusement dans votre livre.

"Tout à fait. Dans mon essai, je démontre qu’une telle vision des choses est bien superficielle, sinon carrément faussée. La crise actuelle était grandement prévisible. Je montre, notamment dans le dernier chapitre du livre, que le discours des élites sur la conversion du Québec au multiculturalisme n’était pas partagé par la population. En ce moment, nous assistons plutôt à l’implosion de la culture politique postréférendaire. Au centre de cette culture politique, on trouvait une thèse forte: en finir une fois pour toutes avec la majorité francophone, l’occulter, la nier, pour construire une nouvelle identité québécoise qui n’aura plus rien à voir avec elle. Une telle négation ne pouvait durer, dans la mesure où elle entrait en confrontation radicale avec la réalité, celle d’une expérience historique de plusieurs siècles, profondément enracinée et cherchant une pleine expression politique."

Sans la composante "multiculturelle", comment convaincre les nouveaux immigrants qu’ils font partie intégrante de la nation québécoise?

"Il s’agit d’incarner la norme québécoise en refusant d’être une communauté parmi d’autres dans un bazar multiculturel consacrant la liquidation de la nation fondatrice. Il faut éviter de critiquer les immigrants – bien qu’on distinguera toutefois les nouveaux arrivants des fondamentalistes qui mettent en danger la démocratie. Mais surtout, il faut critiquer nos propres élites qui ont renoncé à prendre au sérieux l’intégration des nouveaux immigrants. Je crois que la chose à faire est de décomplexer la défense de l’identité québécoise et de bien établir avec ceux qui se joignent à nous que le pays dans lequel ils ont choisi de vivre n’est pas une société multiculturelle, mais une collectivité avec son histoire propre, ses traditions, et qui l’assume tel quel. Nous n’aidons certainement pas les nouveaux arrivants à rejoindre la nation québécoise en leur envoyant le signal qu’il s’agit d’une nation sans énergie, en pleine décomposition."

Certains vous reprochent de prôner des thèses d’extrême droite. Que

leur répondez-vous?

"Ce vocabulaire, on le connait bien, il n’est pas pour peu dans la crise actuelle. Je souligne d’abord ce qu’il révèle: à toujours rabattre la droite sur l’extrême droite, c’est le conservatisme qu’on afflige d’un interdit de penser. Pour une intelligentsia qui se réclame du pluralisme et de la diversité, il y a là un paradoxe, une contradiction à pratiquer aussi délibérément une telle censure. Soit vous êtes "de gauche" et multiculturaliste, soit vous êtes interdit de parole et classé parmi les ennemis de la démocratie. On criminalise ses adversaires plutôt que de les entendre. La chose n’est pas heureuse à dire, mais le politiquement correct incarne vraiment une transformation de l’esprit totalitaire, qui prend une nouvelle forme, mais qui demeure identique à lui-même. Et inversement, le langage mobilisé par l’intelligentsia pluraliste sert à masquer la réalité en multipliant les interdits de penser. On renomme "ouverture à l’autre" le reniement de soi. On célèbre les chartes pour mieux masquer la véritable transgression des principes démocratiques. Cela dit, à la question de savoir si ce livre est plutôt conservateur, je réponds oui, sans complexe. Au Québec, la défense de l’identité nationale est une tâche conservatrice. Il y a un héritage historique à préserver. Nationalisme et conservatisme doivent désormais se conjuguer, se féconder dans un Québec en pleine recomposition collective."

Selon vous, les travaux de consultation menés actuellement par la Commission Bouchard-Taylor ne sont qu’un pur gaspillage de temps et de fonds publics.

"Cette Commission, je la surnomme la Commission de la confiscation, ou encore la Commission de la neutralisation. C’est-à-dire que l’intelligentsia pluraliste est parvenue à confisquer un débat politique dont elle avait perdu le contrôle pour en neutraliser les principaux éléments, les principaux contenus. On n’a qu’à voir qui sont les deux commissaires et qui sont les experts appelés à les conseiller pour comprendre que les résultats de cette Commission sont plus que prévisibles. On n’a qu’à consulter chaque semaine les questions mises en ligne sur le site Internet de la Commission pour comprendre comment on oriente la réflexion d’une telle manière pour arriver au résultat escompté: un ralliement aux principes du multiculturalisme. Cette Commission n’est pas là pour tenir compte du refus clairement exprimé par la population du modèle multiculturel, mais pour convaincre la population des vertus de ce modèle. Il ne s’agit pas d’un grand exercice de consultation, comme on ne cesse de le claironner, mais d’un véritable coup de force mené par une technocratie pluraliste qui sacralise les chartes des droits et discrédite sans cesse le principe majoritaire, pourtant fondateur de la souveraineté démocratique. La Commission Bouchard-Taylor n’est pas là pour restaurer l’identité nationale, mais pour en achever la déconstruction."

Pourquoi êtes-vous si sceptique en ce qui a trait à l’avenir du projet souverainiste québécois?

"Pour l’instant, les souverainistes doivent renouer avec l’identité nationale. Pourquoi lutter pour l’indépendance s’il s’agit de reproduire ici un Canada en miniature avec son multiculturalisme et sa vision post-historique de la communauté politique? Bien sûr, le Québec sera une démocratie libérale, et je ne connais personne qui remet en question cette évidence. Mais la question fondamentale est de savoir s’il ne sera que ça, ou s’il ne devra pas être aussi le pays incarnant l’existence nationale du peuple québécois."

(1) La Dénationalisation tranquille de Mathieu Bock-Côté, Éditions du
Boréal, 2007, 212 p.