Ce livre sort six ans après votre documentaire-choc Bacon le film, qui dénonçait les méthodes de l’industrie porcine. Est-ce que cela signifie que la situation ne s’est pas améliorée depuis?
"En effet, même que c’est pire qu’avant. Il y a bien eu un moratoire décrété, mais il n’était destiné qu’aux régions où les effets des méga-productions avaient déjà fait leur tort. Pour les autres régions, non seulement on a continué à produire, mais la production a grimpé. Cette trêve n’était qu’une affaire de relations publiques. Et cela a marché. Les gens, surtout les urbains, croient que le moratoire a tout fait stopper. Il n’y a rien de plus faux. D’ailleurs, l’année de la sortie de Bacon – qui est aussi celle de la création de l’Union paysanne – est supposément liée à une prise de conscience chez les Québécois. Pourtant, c’est l’année où il y a eu le plus de production de porcs."
Qu’y a-t-il dans le livre que votre film ne dit pas?
"Tout d’abord, c’est écrit par des chercheurs, c’est académique comme ouvrage. On ne peut donc pas leur reprocher de faire de la militance. Le livre met en lumière plusieurs faits qui ont été découverts après la sortie du film. C’est pour ça que j’ai accepté de signer la postface. Je trouve que le livre amène le débat plus loin. Parmi les nouvelles données, on sait maintenant que la viande de porc des grandes marques industrielles est remplie de résidus de médicaments. De plus, on a trouvé une dizaine de nouveaux pesticides dans les rivières du sud du Québec. En Iowa, un chercheur a découvert que les femmes enceintes qui vivent près des porcheries industrielles donnent naissance prématurément deux fois plus souvent que les autres femmes. C’est sans parler du fait que la porciculture est responsable d’un air qui fait monter le nombre d’asthmatiques… La liste est longue."
Quel lien y a-t-il entre l’air que l’on respire et une porcherie?
"Il y a énormément de poussières nocives dans les porcheries. C’est de la poussière de purin. Ça occasionne beaucoup de maladies respiratoires, d’une part chez les travailleurs, mais aussi chez les gens qui habitent les environs. Il y a d’immenses ventilateurs qui longent les porcheries et qui éjectent de la poussière. Ça se rend chez les voisins."
La saine cohabitation entre citoyens, petits producteurs et producteurs industriels est-elle possible?
"Personnellement, je ne le crois pas. Les méga-porcheries ne peuvent pas cohabiter avec le reste. Prenons seulement la question de l’eau. Les gros producteurs porcins polluent incroyablement l’eau. Une partie de ma famille habite dans une zone d’activité porcine, et ils ne peuvent boire leur eau; elle est contaminée. Alors non seulement ça nuit aux citoyens, mais ça nuit aussi beaucoup aux autres commerces et entreprises."
Dans le livre, on soutient que c’est notre patrimoine, notre culture et notre identité qui sont en danger. En quoi l’industrie porcine menace tout cela?
"Selon moi, la question de l’agriculture est intimement liée à la question des régions. Il faut se solidariser. Je ne crois pas que cela ne concerne que les gens de la campagne et les agriculteurs. Ça touche tous les Québécois. L’industrie porcine ne cesse de dévorer la campagne, ses écosystèmes, mais aussi ses gens. Et qu’on le veuille ou non, on est lié quotidiennement à la campagne; on mange tous les jours. On ne peut pas, en tant qu’urbain, se déresponsabiliser de ce qui se passe là-bas."
Qu’est-ce qui est le plus aberrant dans ce dossier, selon vous?
"Il y a une logique de marché qui impose une certaine façon de produire. Même si on sait qu’elle est en train de nous menacer, on n’est pas capable de l’arrêter. On ne peut pas laisser la pure logique économique détruire la vie sur terre!"
Porcheries! La porciculture intempestive au Québec, dirigé par Denise Proulx et Lucie Sauvé, Éd. Écosociété, 2007, 325 p.
En librairie le 1er octobre