Les industries de l'esthétique : Un McLifting avec ça?
Société

Les industries de l’esthétique : Un McLifting avec ça?

Aujourd’hui, à Québec comme partout ailleurs, les industries de l’esthétique et de la chirurgie plastique semblent aller de pair. Les augmentations mammaires, liftings et autres opérations deviennent des objets de consommation. En tant que société, où s’en va-t-on?

"Ce qui est important, c’est l’ampleur du phénomène: il y a une banalisation. On a l’impression que la chirurgie plastique devient un traitement complémentaire des soins de beauté, que ça devient des soins qui sont offerts au même titre que des soins usuels. Cet effet de banalisation, c’est le point le plus inquiétant", estime Marie-Hélène Parizeau, professeure à la Faculté de philosophie de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bioéthique et en éthique de l’environnement. "Il y a un immense barrage publicitaire. C’est banalisé. C’est la vente du rêve. Et on dit aux gens que c’est accessible, qu’il n’y a pas de danger, pas de problèmes", remarque de son côté Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois pour la santé des femmes.

Il faut dire qu’année après année, de plus en plus d’hommes et de femmes recourent à la chirurgie esthétique. Et avec la hausse de la demande, l’offre s’est également développée. Mais pas toujours correctement. "C’est devenu le Far West de la santé. Un médecin généraliste peut s’improviser chirurgien esthétique. Quelqu’un qui n’est pas médecin peut s’improviser praticien pour faire des injections de Botox", observe Lydya Assayag. Quant à ce phénomène, autant l’une que l’autre estime qu’il faudrait plus de balises dans son développement. "Puisque la banalisation se met en place, autant mieux l’encadrer", estime Mme Parizeau. "S’il n’y a pas quelque chose qui est fait, les scandales et les tragédies vont augmenter assez rapidement", poursuit Mme Assayag, qui souhaite "tirer la sonnette d’alarme".

QUESTIONS DE SOCIÉTÉ

Ainsi, la société doit d’abord et avant tout se poser une simple question: pourquoi? Selon Marie-Hélène Parizeau, on peut parler ici, notamment, de peur du vieillissement, de refus de la mort: "Notre société véhicule une idée de progrès, de l’extension de la durée de vie, de l’immortelle jeunesse. C’est un rêve d’immortalité. On n’a plus de religion qui nous propose l’immortalité après la mort, alors l’immortalité, on la veut maintenant." Mais, pourtant, les interventions esthétiques ne font que cacher la vérité… "Ça ne change pas la perception de l’âge réel qu’on a. On sait l’âge qu’on a dans la tête. Socialement, jusqu’où va-t-on être capables de faire la part des choses?" se questionne-t-elle. "Le problème, c’est que ça crée l’illusion que l’on peut façonner son corps sans conséquences", lance Lydya Assayag. Selon elle, simplement sur le plan physique, le corps réagit à la présence d’une masse étrangère: "Lorsque vous vous rentrez une épine dans le pied, voyez comment votre corps réagit. Imaginez avec des implants mammaires…"

Tout cela peut également être lié à un problème d’image. "S’il y a association entre beauté et chirurgie esthétique, c’est que notre société fonctionne sur le culte du beau corps, que les perceptions sociales se font en fonction de ce culte", suggère Marie-Hélène Parizeau. Et, d’une certaine manière, l’accessibilité croissante de la chirurgie esthétique encourage cette tangente. "Cela crée une insatisfaction continue de son corps chez la femme, et de plus en plus chez l’homme. On ne peut plus être comme on est. Pour que je réussisse ma vie, il faut que je modifie ce que je suis. Socialement, on a toujours aimé la beauté, mais là, c’est développé en problème chronique", note Mme Assayag.

À la lumière de tout cela, que devrait-on imputer aux chirurgiens eux-mêmes? Afin de ne pas cibler une pratique privée en particulier, Voir a contacté l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec. Malheureusement, au moment de mettre sous presse, celle-ci n’avait toujours pas répondu favorablement à notre demande d’entretien.

Cela dit, selon Marie-Hélène Parizeau, il faut éviter de jeter le blâme sur les praticiens. Il ne faut pas oublier que, souvent, la chirurgie plastique demeure essentielle: brûlures graves, accidents… "Le chirurgien plastique a un rôle positif et très valorisant. Et si, à côté, je fais de la plastique plus esthétique, je fais du bien aux femmes qui veulent en avoir. Les femmes et les hommes qui les consultent disent merci; où est le problème?" note-t-elle, soulignant qu’il y a également une forte demande pour la chirurgie esthétique. "Par contre, il faut se demander si les gens sont véritablement bien informés", ajoute-t-elle. Surtout que, tel que le mentionne Lydya Assayag, la situation n’est plus la même que dans la médecine traditionnelle: "Dans les cliniques privées, les médecins n’ont plus qu’un rôle de thérapeute, ils ont aussi un rôle de vendeur. Dans un tel contexte, le devoir d’information devient encore plus grand."