Pop culture : Inspirez profondément
Société

Pop culture : Inspirez profondément

On la cherche partout, et pourtant, elle est toujours en vedette quelque part autour, avec plus ou moins de fard, exposée au faisceau des projecteurs. Espérant de tout coeur la rencontrer, certaines personnes iront jusqu’à arpenter, toute leur vie durant, un monde qui leur semblera perpétuellement trop calme, trop gris, trop morne. Et l’attente sera longue. Et le temps sera meuble et souple, et attendra qu’on en fasse quelque chose de pertinent, ou au moins d’agréable.

L’inspiration viendra-t-elle, cette fois?

Il l’a invitée à prendre un café. Elle ne venait pas. Alors il a trempé les lèvres, puis réchauffé le jus, et bu encore. Il la connaissait farouche. Et pourtant, il avait cru que cette fois, elle se présenterait au rendez-vous. En attendant, il a écrit, dans son cahier, le mot vacuité, qu’il s’est appliqué à recopier sur la mince ligne bleue hachurant les trois pages suivantes.

Et autour. Tant de visages. Tant d’histoires s’y camouflant. Suivant l’esquisse de chacun des traits qu’on effleure du regard. Sifflant à peine à la commissure des lèvres, dans le spasme d’un sourire convenu. Tant d’histoires retenues, entre les dents serrées de la rage, de l’envie ou du mépris. Et pourtant, il ne sut pas quoi écrire d’autre, que le mot vacuité sans cesse répété.

Beaucoup d’auteurs font face au "problème" de l’inspiration. Au début de son deuxième roman (Une vie normale, paru aux éditions HMH), l’auteur dolmissois Louis Tremblay révèle avec une touchante sincérité, dans un préambule, la difficulté qui s’est fait sentir lorsqu’est venu le temps d’écrire ce nouveau livre. Il avoue même avoir cru, à un moment donné, devoir faire son deuil de l’écriture.

"Écrire un deuxième roman n’a pas été chose facile. Pourtant, après avoir eu le privilège de publier son premier ouvrage, on s’imagine que le reste va de soi. Qu’il suffit de s’installer au clavier d’un ordinateur, d’ouvrir un canal et d’attendre que l’inspiration tombe du ciel pour rédiger en peu de temps un deuxième manuscrit à proposer à l’éditeur.

Il en fut autrement."

L’inspiration. La déesse des rêveurs. La damnée des poètes maudits. L’air du littéraire.

On dit souvent qu’il faut lire pour savoir écrire. Qu’un auteur est un imposteur s’il ne donne pas leur chance aux mots des autres. C’est sans doute vrai. Toutefois, n’est-ce pas réduire l’importance de l’expérience? Ne faut-il pas surtout VIVRE pour savoir écrire?

Évidemment, les Patrick Senécal de ce monde n’ont pas eu à égorger, brûler ou arracher des foetus vivants pour pouvoir mettre en scène dans leurs romans de tels instincts meurtriers. On a même vu des hommes décrire avec une acuité remarquable, voire une vérité quasi viscérale, des expériences qui demeurent des chasses gardées du genre féminin.

Il serait naïf de soutenir qu’il faille nécessairement avoir vécu ce qu’on écrit. Ce n’est pas ça, cultiver l’expérience. Inutile de voir mourir un proche pour savoir à quel point il peut être déchirant de sentir la détresse du deuil.

Il sait le contact froid de la fenêtre sur la peau de sa joue, lorsque ses larmes coulent à la même mesure que la pluie qui fait son chemin sur le verre qui s’embue. Quand il regarde désespérément l’allée de pierres que l’être aimé n’empruntera plus. Quand sur la table, derrière lui, refroidit le repas abandonné. Manger ne sera plus jamais aussi bon. Soudaine rafale, la pluie est plus forte.

Écrire, c’est simplement faire preuve d’une empathie extrême, ce qui ne peut être possible qu’au moyen d’une remarquable capacité d’imagination. Et c’est par l’expérience que l’imagination se stimule. L’expérience de l’horreur ou des émotions les plus vives. L’expérience des arts. Le théâtre. La musique.

De l’aveu de Louis Tremblay, c’est d’ailleurs une chanson de Thom Yorke, How to Disappear Completely, qui a dénoué son impasse. Qui a ouvert une brèche, créé une atmosphère. Il n’a pas réécrit la chanson… Quelque chose s’est produit. Comme une rencontre.

Elles sont importantes, ces rencontres. Avec les oeuvres. Et avec les gens. C’est le "J’suis poète à mes heures, mais surtout, je sais vous écouter…" de Paul Piché, si justement repris par Fred Pellerin.

Elles sont nombreuses, ces rencontres. D’autant plus lorsqu’on les provoque. C’est quand on déroge aux règles de la quotidienneté, quand on fout le bordel dans nos habitudes, quand on va à la rencontre de l’autre que l’expérience peut s’avérer fertile.

Il attend l’inspiration, mais c’est vous qu’il regarde, qu’il écoute, en buvant son café.

Voilà. Vous inspirez profondément.