Pierre Bernier ressemble à son atelier-musée du vélo de la rue Saint- Jean. Bric-à-brac, broche à balle, hirsute: on est loin des boutiques branchous et des fluos dopés au carbone qui les fréquentent.
Son programme comme candidat à la mairie de Québec est à l’avenant.
Complètement hors du temps. Déconnecté. Mais est-ce nécessairement une mauvaise chose?
Dans l’arrière-boutique de son charmant foutoir qui abrite quelques reliques cyclistes (draisienne, grand-bi, maillots d’avant-guerre…), Pierre m’expose son plan. Je note, souris, et on s’obstine un peu en riant de ces choses qui nous unissent, mais surtout de celles qui nous séparent. À commencer par sa vision utopiste d’un monde meilleur.
Contrairement à la vaste majorité des gens de sa génération, ce fou de la pédale qui sillonne les rues juché sur sa bécane antédiluvienne n’a pas renoncé aux idéaux d’égalité, de démocratie, de partage équitable du fric et des lieux publics (il parlera surtout de nos routes, de la dictature automobile). Plus le "gros bon sens" nous éloigne de ces idéaux, plus il voit sa génération confondre société de loisirs et consumérisme individualiste, plus il grimpe sur les pédales, en danseuse, cherchant à rattraper le peloton pour lui crier: heye les boys, vous avez pris le mauvais embranchement au dernier carrefour!
En ce qui concerne la course à la mairie dans laquelle il s’embarque officiellement cette semaine, Pierre en a contre l’arrivisme des autres candidats qui promettent systématiquement un régime minceur pour l’appareil municipal. Il en a contre les entrepreneurs qui préfèrent le nouveau à la réfection, contre le baratin des politiciens qui veulent mettre flics, pompiers et fonctionnaires à leur botte.
Sa solution afin de combler le gouffre financier? Une augmentation de taxes de 8 %. Wow, ça va être populaire, ça, lui ai-je rétorqué, à moitié amusé, à moitié choqué de le voir si loin à côté des pompes impeccablement cirées de la politique municipale. Une politique qui inhale à pleins poumons cet air du temps qui étouffe les idéalistes, comme la fumée de la Stadacona les résidents de Limoilou au sud de Canardière.
"Je ne suis pas néo-rhino", affirme pourtant l’amoureux du vélo, mi-clown mi-historien. "Je suis sérieux, je suis là pour la cause."
Sa cause? C’est surtout celle du vélo, malmenée par la dictature des voitures, ridiculisée par les politiciens (souvenez-vous les douches de Mme Boucher). Mais c’est aussi l’étalement urbain, la déshumanisation du travail des cols bleus coupés du monde à bord de leurs balayeuses et déneigeuses mécanisées, la disneyification du Vieux-Québec (à propos de l’îlot des Palais contre lequel il s’insurge, il dira: est-ce que les Égyptiens reconstruisent les pyramides?), ou l’obsession du retour de la LNH. En bon écolo, il est évidemment contre le Red Bull Air Race.
Comme je vous le disais d’entrée de jeu, Bernier est hors du temps, en marge du progrès pour le progrès, de la société du divertissement qui fait diversion.
Il s’en trouvera pour se moquer. Ne comptez pas sur moi.
Nos points de vue divergent la plupart du temps, n’empêche que Bernier représente l’essentiel grain de sable dans l’engrenage trop bien huilé de la machine municipale. Comme les véritables représentants de la gauche, il est la voix de la conscience qu’il est parfois bon d’écouter pour éviter de trop s’égarer dans la forêt aux illusions du monde moderne.
Pierre Bernier est un passeur de rêves, un fou indispensable dans un monde de comptables glorifiés. Un barbu dans un univers lisse et glabre. "Vous voulez quoi? Que je prenne le look de Conrad Black et Vincent Lacroix?" ironise-t-il.
Il sait qu’il n’a aucune chance d’accéder à la mairie. Il s’en contrecrisse.
"Le 3 décembre, je rentrerai ici, à la boutique, pour réparer des vélos. J’aurai fait ma B. A.", laisse-t-il tomber, répondant à une salve d’objections de ma part.
Peut-on reprocher à un homme de foi d’avoir le courage de ses convictions?
Mais c’est un clown, vous entends-je déjà protester. Soit. Mais rendez au moins à l’homme ce qui lui revient.
Contrairement à la plupart des aspirants à la mairie, celui-là assume sa condition.
NUMBER ONE – C’est peut-être un réflexe de colonisé, mais qu’est-ce que le Québec peut se péter les bretelles de ses réussites culturelles à l’étranger. Céliiiiine, André-Philippe Gagnon, Plamondon, et maintenant les Têtes à claques qui cartonnent en France.
Qu’est-ce que les Têtes à claques sinon deux ou trois bons sketches, et une quarantaine de mauvais? De bons personnages, des répliques canon, mais une terrifiante absence du côté des textes, qui tombent presque systématiquement à plat.
Je demeure éberlué devant cette aisance avec laquelle le succès parvient à gommer tout le reste, à commencer par la critique qui se trouve rangée au rayon de la jalousie ou de l’élitisme à partir du moment où l’objet de cette critique devient populaire.
50 000 000 people can’t be wrong, claironnait le titre d’un album d’Elvis. Wrong, ils le furent quand ils ont continué de vénérer le père du rock devenu gros débile pailleté à Las Vegas.
Pour revenir à Plamondon, lui aussi demeure un mystère. J’écoutais un épisode du documentaire qui lui est consacré ces jours-ci à Radio-Canada, entre fascination et consternation, me disant que je n’y comprends rien. Comment des millions de Québécois et de Français peuvent-ils élever un tel monument à la gloire de celui qui a fait rimer de manière aussi vénale les mots automate et tomates (Starmania).
Remarquez, c’est aussi Plamondon qui a résumé l’essence de son art, en écrivant pour Céliiiiine: "Écris-moi des mots qui sonnent, y faut qu’ça fasse un number one."