Antoine Robitaille : La condition posthumaine
Cyborgs, hommes bioniques, humanoïdes. Les posthumanistes rêvent d’un monde où la technologie fera de nous des hommes "meilleurs", plus forts, plus brillants, peut-être même immortels… Le journaliste Antoine Robitaille livre une plaquette sur un courant qui carbure à l’utopie.
Qu’est-ce qu’un posthumain?
Antoine Robitaille: "C’est un être humain qui serait créé non plus par l’évolution, mais par la technologie. Un homme nouveau, dont les caractéristiques seraient tellement différentes de l’Homo sapiens qu’on pourrait dire qu’une nouvelle espèce est née."
On pense donc à des cyborgs ou à des hommes mutants. Mais vous parlez aussi du transhumain…
"Oui. Le transhumain, c’est l’être qui commence à être différent de l’humain, qui est en transition vers la posthumanité…"
Sommes-nous en ce moment des transhumains?
"Un peu. On a toutes sortes de prothèses (lunettes, stimulateur cardiaque, etc.). Nous ne sommes pas tous de purs Homo sapiens, mais il ne s’agit pas encore d’une transformation radicale comme le serait une modification génétique ou l’ajout d’une prothèse évoluée qui réagirait en fonction du système nerveux…"
…ou des puces informatiques greffées dans le cerveau.
"Des scientifiques disent qu’ils ont réussi, l’an dernier, à implanter une puce dans la tête d’un handicapé, ce qui lui a permis de déplacer une souris sur l’écran d’un ordinateur grâce à la force de sa pensée! Les scientifiques qui travaillent sur ce projet m’ont dit que ce n’était qu’un prélude à ce qui s’en vient, soit un vrai contact entre l’ordinateur et le cerveau."
Pourquoi écrire un livre sur la posthumanité?
"Je trouve la technologie séduisante, mais j’ai toujours été inquiet de ses effets sur l’humanité. Je me suis souvent demandé comment la technologie allait nous changer dans le futur. Elle nous a déjà passablement changés au cours du 20e siècle, faisant en sorte, par exemple, de quasiment doubler notre espérance de vie. Cela change complètement les rapports entre les générations… Après des lectures et plusieurs recherches sur l’apparition de ce nouvel homme, j’ai finalement eu l’idée d’aller rencontrer non pas ceux qui disent non à la posthumanité, mais ceux qui disent oui. Et j’ai découvert chez ces gens un argumentaire qui n’est pas sans lien avec une espèce de culture populaire qui est en train de s’installer."
Comme cette idée voulant que la technologie nous permette de réaliser tous nos rêves, même les plus fous?
"Entre autres. Si on veut s’amuser un peu, on pourrait dire qu’une émission de téléréalité telle qu’Extreme Makeover est une émission pré-posthumaine! Vous avez une personne qui se fait remodeler comme une voiture ou comme une maison (grâce à la chirurgie esthétique), et qui nous dit après: "C’est formidable! Je me sens beaucoup plus moi-même!" On n’est plus dans une médecine curative, mais dans une médecine d’amélioration de l’humain! Le sous-texte dans cette émission est si philosophiquement puissant qu’on doit s’inquiéter de la conception actuelle de la nature humaine dans la culture populaire."
Vous dites que les posthumanistes ont une vision utopiste de la technologie…
"Souvent. Si on retourne 15 ans en arrière, plusieurs prédictions quant aux promesses des technologies étaient exagérées. On nous annonçait, par exemple avec la thérapie génique, la fin de maladies telles que la dystrophie musculaire. On avait une vision simpliste de l’être humain. Et je suis convaincu que plusieurs des utopies que je présente dans mon livre sont fondées sur des simplifications de l’être humain."
En fin de compte, à quoi bon s’intéresser à une bande d’utopistes?
"C’est qu’en chemin vers Utopie, on peut se perdre… Il y a souvent un potentiel totalitaire dans les utopies, et c’est ce qui m’inquiète dans le courant posthumaniste. Prenons simplement la notion d’égalité entre les individus, qui est au fondement même de notre société libérale. Qu’est-ce que cette égalité deviendrait s’il y avait des êtres humains capables de vraiment s’améliorer physiquement ou intellectuellement, grâce aux technologies? Cela peut sembler curieux de s’intéresser à la posthumanité, mais il me semble que ce courant touche des aspects fondamentaux de notre vie en société, de nos idées politiques…"
Le Nouvel Homme nouveau – Voyages dans les utopies de la posthumanité
d’Antoine Robitaille
Boréal, 2007, 220 p.