Société

Pop culture : Islam bashing

Dehors, les intrus. Au diable, la vermine. Il faut se tenir debout, le dos cambré, le menton relevé. Autrement, ils pourraient nous exterminer. Et lorsque nous serons soumis à leurs lois, nos pauvres enfants devront vivre dans un climat de terreur. Parce que c’est bien connu, le loisir de prédilection des musulmans est de se faire sauter le bide au C4.

Tant qu’à y être, on pourrait déjà les rendre responsables de notre totale dérive. On évacuerait ainsi tous les démons en même temps. Les problèmes forestiers, pourquoi pas? Et les lézardes des viaducs. Le trou dans la couche d’ozone et l’effet de serre. Les listes d’attente dans les hôpitaux. Le prix des médicaments. Le dégel des frais de scolarité. Les gouvernements minoritaires. L’insuccès du dernier Arcand. La hausse du dollar et les problèmes d’exportation. Le prix élevé à la pompe. Les algues bleues. À "nous" entendre, la poignée de musulmans installés au Québec serait la source de tous nos maux. C’est à cause du voile, probablement.

Qu’on les renvoie chez eux s’ils ne veulent pas faire comme "nous".

La haine s’immisce subrepticement.

Ils sont de parfaits boucs émissaires. Reconnaissables, ils incarnent bien l’"étranger", le "différent", le "survenant". Depuis que les deux tours ont fondu en poussière en plein coeur de pomme, depuis que de pauvres soldats canadiens sont allés mourir en Afghanistan, troués par la mitraille d’intégristes musulmans, ils sont devenus l’ennemi juré. La cible parfaite. Alors on tire à boulets rouges.

Depuis le début de la commission Bouchard-Taylor, devenue par moments une véritable séance d’islam bashing, les trompettes de l’identité sont bien mal embouchées (c’est certainement pas la première fois qu’on détourne un vers de Brassens). Certains n’ont pas compris que c’est pas parce qu’on nous donne la parole qu’il faut absolument la prendre… Faudrait parfois user au moins de la sourdine.

"Retirez ce voile obscène que je ne saurais voir", dit-il en égrenant son chapelet de plastique.

Et alors on montre du doigt. Et on exagère.

Puis les Québécois musulmans – il ne s’agit pas d’une antithèse, quoi que puissent en penser certains esprits bornés – se lassent d’être "nos" têtes de Turc, ces bons diables qu’on rend responsables de notre identité perdue. Faut les comprendre. Ils n’y sont pour rien. Si on ne sait plus qui on est, ça n’a rien à voir avec leurs foulards, avec la façon dont ils prient et avec leur organisation des tâches ménagères – qui n’a parfois rien à envier à la structure stéréotypée qui organise encore aujourd’hui nombre de familles dites "québécoises".

Ce ne sont pas les immigrants qui nous ont menés à la déroute identitaire nous laissant aujourd’hui en pleine crise. C’est notre propre indécision. Évidemment, après des siècles à se fermer la gueule, difficile de s’affirmer proprement.

Ça fait 400 ans qu’on se perd dans les méandres de l’histoire, qu’on cherche à oublier d’où on vient. Parce que ça fait toujours un peu trop mal de regarder en arrière. Colonisés, assiégés, refoulés. Au lieu de s’en vouloir à mort, on cherche un point d’appui. Et quand on le trouve enfin, le raccourci, c’est de fesser sur tout ce qui se trouve autour. Alors on enfile des chapelets de préjugés. On voudrait régler le délicat dossier de l’identité à grands coups de codes de vie. Et on oublie que sous le voile qu’on voudrait violer impunément, il y a des rêves, des larmes, de l’amour, une foi, des passions.

Qui sommes-"nous"? Qui est Québécois? Nous n’en savons rien. Je croyais pourtant que la commission Bouchard-Taylor allait répondre à cette question. Au lieu de cela, des types renfrognés, des zélés de Dieu, des jeunes en mal d’exposure, des féministes ratées, des tarés athées profitent de cette tribune pour aller débiter leurs insanités, se purgeant de leurs craintes les plus irréfléchies, s’arrogeant le titre d’experts en droits humains et de savants de la religion musulmane alors qu’ils n’ont peut-être jamais sorti de leur patelin, voire adressé la parole à une musulmane.

À l’ordre, s’il vous plaît.

Vingt ans après le grand départ, c’est René Lévesque qui doit se "dévirer" dans sa tombe. Pas à cause du projet de loi 195 du PQ, contrairement à ce que semble penser notre premier ministre qui l’a vertement attaqué, entre autres dans sa lettre ouverte de mardi dernier. Plutôt parce qu’il aurait voulu que les Québécois trouvent un moyen de s’affirmer. "Qu’on ne vienne pas nous raconter que c’est de la discrimination de prétendre, de notre mieux, à l’intérieur des limites si vite atteintes des pouvoirs du Québec, spécifier franchement que nous sommes dans un monde où il faut maintenir et renforcer ce que nous représentons." (R. Lévesque, Assemblée nationale, 31 octobre 1968) Ce qui ne signifie nullement qu’il faille trouver plus petit à écraser.

Mais alors, qu’est-ce que nous représentons? C’est à cette question qu’il est urgent de répondre, Monsieur Bouchard, Monsieur Taylor.