Mouvement étudiant : Deux têtes pour le prix d’une
À l’aube d’un nouveau bras de fer avec le gouvernement provincial concernant la hausse des frais de scolarité, où en est le mouvement étudiant?
Vous avez vu l’horaire des manifestations du mois de novembre? À l’agenda: deux rendez-vous. Le premier à Montréal, le 15 novembre, organisé par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), accompagnée par différentes associations étudiantes indépendantes. Puis, la semaine suivante, le 22 novembre, toujours à Montréal, ce sera au tour de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) de faire de même, avec ses différentes associations membres. Un rassemblement un peu à l’image des revendications étudiantes du Sommet sur l’éducation postsecondaire tenu à Ottawa en 2006: une cause, deux manifestations. Et, au milieu de tout cela, peut-être une troisième coalition, formée d’associations indépendantes…
"Chaque association a sa vision de ce qu’elle souhaiterait dans le système d’éducation. Ça va créer un discours plus large. Il faut voir que les étudiants sont intéressés, voir au-delà des deux manifestations. Il y a beaucoup d’étudiants qui vont être là pour lutter contre le dégel", explique Julien DuTremblay, président de la Confédération des associations d’étudiants et d’étudiantes de l’Université Laval (CADEUL). Il faut dire qu’en 2005, à la suite des débats engendrés par la grève étudiante, l’association lavalloise s’était séparée de la FEUQ.
Ainsi, malgré cette apparence de têtes multiples, il n’en reste pas moins qu’il y a consensus pour "le rejet du dégel des frais de scolarité tel que présenté par le gouvernement Charest", selon Jean-Patrick Brady, président de la FEUQ. Mais pas plus. C’est là la nature de la bête. "Quand on va sur un campus universitaire, c’est comme un microcosme social: il y a beaucoup de débats et il y a beaucoup de revendications différentes", dit-il. Et cela, sans nécessairement entrer dans les spécificités des problèmes de financement tels qu’ils s’expriment d’une région à l’autre, d’une université à l’autre. "C’est le propre des mouvements sociaux d’être composés de plusieurs associations. C’est clair que ça aura un effet sur le rapport de force. Toutefois, ce n’est pas prioritaire de faire l’unité à tout prix. Le mouvement étudiant est divisé depuis les années 1970", fait valoir Hubert Gendron-Blais, secrétaire aux communications de l’ASSÉ.
Le problème restera de savoir qui négociera avec le gouvernement Charest. D’emblée, la FEUQ assure qu’elle ne compte pas s’arroger un rôle de leadership. "Ce qui est important, c’est d’être là et d’être présents. Toutefois, c’est important que tout le monde soit là, et c’est pour ça qu’on a été voir l’ASSÉ, qu’on veut travailler avec les associations québécoises. On ne veut pas le faire seuls", indique Jean-Patrick Brady. Du côté de la CADEUL, on croit que les négociations pourraient se faire avec une coalition des coalitions. "Il est possible que toutes les coalitions aient leur place à la table de négociation", estime M. DuTremblay. À ce sujet, l’ASSÉ, exclue des négociations en 2005, demeure peut-être moins optimiste… "Nous avons doublé nos membres, donc ce sera plus difficile pour le gouvernement de ne pas en tenir compte. Toutefois, le gouvernement choisit ses interlocuteurs, et donc, c’est plus avantageux pour lui de discuter avec les fédérations étudiantes qui sont plus modérées", observe Hubert Gendron-Blais.
IL EST MORT, LE MOUVEMENT?
À travers tout cela, c’est aussi le problème de participation des étudiants aux instances décisionnelles qui fait la manchette. En octobre dernier, l’assemblée générale de la CADEUL avait dû être reportée, faute de participants… Difficile d’impliquer les étudiants dans le dossier du gel, du dégel? "Beaucoup d’étudiants ne comprennent pas ce qu’est le dégel. C’est beaucoup plus complexe que les 103 millions de prêts et bourses", philosophe Julien DuTremblay. Mais l’information circule tranquillement sur le campus lavallois. "Nous avons eu une des seules associations qui s’est lancée en grève: c’est la preuve que l’information circule bien. Il faut que la mobilisation parte de la base. Ça va seulement augmenter, selon nous", estime-t-il. "Un mouvement social peut se replier, faire une espèce de réévaluation", souligne pour sa part Hubert Gendron-Blais.
De son côté, la FEUQ suggère la création d’une commission parlementaire itinérante pour trouver des solutions concrètes aux débats en éducation postsecondaire. "On espère que le gouvernement va nous suivre là-dedans", lance M. Brady. La Fédération a déjà commencé une consultation, à partir d’un document sur le sujet qu’elle a récemment produit. Et la participation est bonne, selon M. Brady. "D’une assemblée générale à l’autre, les étudiants sont quand même là et s’intéressent à la question", indique-t-il. Certaines associations indépendantes semblent ouvertes à un tel processus. "On n’a pas de position officielle là-dessus. C’est sûr que des consultations sur l’éducation, ce serait intéressant", indique Julien DuTremblay à la CADEUL. D’autres ont indiqué à la FEUQ leur refus d’y participer. "Nous avons demandé à l’ASSÉ de collaborer. Toutefois, il n’y a pas de possibilités. Ils ont leur plan d’action, leur vision. On se doit de respecter ça", note Jean-Patrick Brady.
D’ailleurs, la différence de perceptions entre l’ASSÉ et la FEUQ semble toujours rester d’actualité. "Nous avons une vision de base qui est commune et nous avons des différences quant aux revendications", indique M. Brady. "Notre position est très claire: on invite à participer au plan d’action élaboré par l’ASSÉ. On invite les associations étudiantes à se prononcer sur la gratuité scolaire. Notre lien se limite à ça. Au niveau national, les relations entre les deux associations sont plutôt froides. Il s’agit d’une différence de visions", élabore M. Blais-Gendron. Mais, d’une manière ou d’une autre, même s’il y a des différences quant à certains aspects, il s’agit d’abord et avant tout pour l’ASSÉ que personne ne mette à personne des bâtons dans les roues…