Pop culture : C’est Une fille!
Le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) a un nouveau bébé. Un gros bébé. Faites un voeu de naissance! Eh oui, c’est Une fille!
Le Musée a effectivement ajouté une pièce de taille (c’est le cas de le dire!) à sa collection d’art contemporain en faisant l’acquisition d’Une fille du sculpteur hyperréaliste Ron Mueck. Avec Tête de bébé (2003), Sans titre (vieille femme au lit, 2000) et maintenant ce nouveau-né de près de 500 livres (!!), le MBAC possède maintenant 3 des 33 ahurissantes sculptures qu’a conçues cet artiste londonien d’origine australienne.
Cette acquisition a été rendue possible grâce à un don de 500 000 $ de deux passionnés d’art, soit F. Harvey Benoit et la Dre Lynne Freiburger-Benoit. Leur don individuel est le plus important jamais reçu par le MBAC pour l’achat d’une oeuvre. C’est que le couple d’Ottawa avait été profondément ému par les sculptures de Mueck lors de sa visite à l’exposition, autant sur le plan visuel qu’émotionnel. Rappelons que le MBAC présentait, en exclusivité canadienne, 16 oeuvres de Mueck pendant 9 semaines au printemps dernier, accueillant pas moins de 83 500 visiteurs.
Les deux collectionneurs d’art avaient alors été particulièrement frappés par la réaction des visiteurs, par leurs interactions: "Je n’avais jamais rien vu de tel. De parfaits étrangers qui parlaient entre eux et qui révélaient leurs réactions très personnelles", expose la Dre Freiburger-Benoit dans le bulletin de la Fondation du Musée des beaux-arts du Canada.
Il s’agit là de l’effet Mueck: les petits comme les grands sont chamboulés par une pluie de sensations paradoxales devant les humanoïdes plus petits ou plus grands que nature. Pour ma part, j’avais été envahie par un mélange d’inquiétude et de crispation doublé d’une immense empathie pour les 16 créatures qui s’offraient à mes yeux. Chaque fois que je repense à l’expo de Mueck et à ses personnages si réels, un court-circuit se fait automatiquement dans mon esprit. C’est que son travail heurte tout ce que vous avez de plus humain, de plus charnel.
La sculpture Une fille était une des oeuvres percutantes de la présentation. Dans son souci du détail anatomique, Mueck y représente un bébé encore tout visqueux, tout fripé d’être sorti in extremis du ventre de sa mère. La taille immense du bébé évoque le moment crucial de la naissance dans ce qu’elle a de plus primaire. Et malgré son état d’intense vulnérabilité, le poupon impose son autorité. La chair nue du nouveau-né géant laisse entrevoir le sang de la mère sur les pores de sa peau, mais aussi les petits os et veines qu’elle renferme; comme si on avait pu entendre sa première respiration, son premier cri dans ce monde déjà trop petit.
Après Maman d’Hélène Bourgeois – cette énorme araignée qui accueille en bonne hôtesse les visiteurs depuis la rue Sussex -, je considère que l’acquisition d’Une fille est une des plus audacieuses qu’a faites le MBAC ces dernières années. Parce qu’il faut le dire, l’oeuvre de Mueck est controversée ou, tout au moins, provocante. Mais elle marque son spectateur d’une manière définitive avec ses petits miracles de création au grand pouvoir d’évocation. En accueillant cette sculpture de Mueck de manière définitive sous son toit – en plus des deux autres et d’un bon nombre de maquettes et de matériel préparatoire -, le MBAC peut maintenant se targuer d’avoir une collection plus représentative de ce virtuose de la sculpture, une collection qui n’en sera que plus riche et hors du commun.