Richard Desjardins et Robert Monderie : Entre l'ombre et la lumière
Société

Richard Desjardins et Robert Monderie : Entre l’ombre et la lumière

Avec Le Peuple invisible, Richard Desjardins et Robert Monderie jettent un éclairage inédit sur la réalité du peuple algonquin. Un portrait sombre, mais essentiel.

Mais qui sont ces gens? On les aperçoit de loin en loin sur l’accotement de la route 117, dans le parc De La Vérendrye ou aux abords de Louvicourt, marchant d’un pas tranquille ou, le pouce en l’air, quémandant un transport vers Val-d’Or. Avec le temps, on en est venu à considérer leur présence comme allant de soi, une présence ni plus ni moins émouvante que celle des épinettes qui donnent ses couleurs au paysage boréal. Ces "étranges" qui figurent discrètement dans le décor, ce sont les Algonquins, peuple méconnu dispersé en Abitibi et au Témiscamingue, vivant aujourd’hui dans des conditions difficiles. Leur histoire, absente des manuels d’histoire, nous est racontée dans Le Peuple invisible, nouveau documentaire-choc signé Richard Desjardins et Robert Monderie.

C’est alors qu’ils arpentaient les forêts du Nord-Ouest québécois en préparation de L’Erreur boréale que les deux cinéastes ont tissé leurs premiers liens avec les Algonquins. Rapidement, ils se rendent compte qu’ils ignorent tout de ces voisins. Ils ne sont pas les seuls. "Quand l’organisation du Festival de Rouyn-Noranda a visionné le film, ce qui a ressorti, c’est que c’était pour eux – qui se trouvent en territoire algonquin – quelque chose d’inconnu. Si régionalement on a eu ce sentiment-là, j’imagine ce que ce sera à la grandeur du Québec", confie Richard Desjardins.

"Ce qu’on a tenté de faire, c’est une oeuvre pédagogique, poursuit le chanteur-réalisateur. Avec Robert, on a fait le film en apprenant. C’est une histoire assez complexe à conter. On a tourné sur trois ans. Ça fait beaucoup de détails." Des 90 heures de métrage accumulées, 90 minutes serviront à construire Le Peuple invisible. La structure du film, découpé en chapitres, s’est imposée au montage. "C’est la première chose qu’on a essayée pour voir si chacune de nos histoires se tenait", se rappelle Robert Monderie. "Ça s’est imposé de soi: on ferait un voyage, d’un bout à l’autre [du territoire]", ajoute Richard Desjardins.

UNE SAISON EN ENFER

Le périple au pays des Algonquins, qui nous transporte au coeur de plusieurs communautés, de Wolf Lake à Kitcisakik en passant par Barriere Lake, met en lumière les conditions difficiles – eau potable douteuse, approvisionnement en électricité difficile… – avec lesquelles les Algonquins doivent composer. À cela s’ajoutent les problèmes de violence, d’alcoolisme, de consanguinité.

Les communautés qui se portent le mieux sont celles qui disposent du plus grand espace physique. "On l’a vu à Kitigan Zibi, le territoire a rapport avec la qualité de vie, rapporte Robert Monderie. Il y a une grande différence entre 100 km2 et 56 acres. Je ne vois pas d’espoir si on n’est pas capable de donner le territoire." Richard Desjardins fait remarquer que des négociations sur l’utilisation commune du territoire se déroulent présentement chez les Innus de la Côte-Nord et que, "si c’est pas encore commencé avec les Algonquins, ça s’en vient. C’est peut-être important, avant qu’on commence à se crêper le chignon, qu’une partie de la population connaisse l’histoire de l’autre. Je pense que les Algonquins connaissent pas mal plus l’histoire des Blancs (rires)."

Ce message sera-t-il entendu? Déjà, la Conférence régionale des élus de l’Abitibi-Témiscamingue a réagi d’une manière positive, soulignant la pertinence et l’importance du Peuple invisible – "On n’aurait pas vu ça il y a 10 ans", croit Richard Desjardins. On saura bientôt si cette réaction locale trouvera un écho sur les scènes provinciale et fédérale.

Le Peuple invisible prendra l’affiche partout au Québec le 23 novembre.

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L’Erreur boréale, de Desjardins et Monderie, l’histoire des peuples autochtones

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ILS ONT DIT

Parlant d’une seule voix, les représentants de la communauté algonquine ont plébiscité le travail des cinéastes, même s’ils ont été secoués par leur propos parfois dur à avaler. Certains en ont profité pour faire passer un message clair.

Parlant à la cantonade pendant un point de presse au lendemain de la projection du Peuple invisible, Lucien Wabanonik, grand chef de la nation anishnabeg, a rappelé que "le gouvernement fédéral [n’avait] pas signé la déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones. Depuis des décennies, on dit au gouvernement: aidez-nous. On n’a pas oublié, nous, nos engagements. Les promesses de nos pères tiennent encore aujourd’hui. Je vous rappelle 1701, la Grande Paix de Montréal. Les Algonquins ont signé cette entente-là. Un traité de paix et d’amitié."

Steeve Mathias, chef de Longue-Pointe (Winneway), a affirmé que si les gouvernements ne collaborent pas, "il va falloir aller au niveau international et dénoncer [leur] attitude." Il a ajouté qu’il fallait aussi travailler de l’intérieur: "On doit se rapprocher. Aujourd’hui, les deux grands chefs sont assis l’un à côté de l’autre. Ça démontre leur bonne foi."

Norm Young, grand chef du Secrétariat des nations algonquines de Timiskaming, Wolf Lake et Barriere Lake, a ironisé sur le sujet. S’adressant par la bande à Desjardins, il a dit que s’il y avait "quelques petits problèmes entre les chefs, on allait les régler. Richard, t’auras pas besoin de nous mettre tous ensemble dans une pièce et barrer la porte (rires)."