Paul Piché : La méthode du calendrier
Paul Piché réapparaît là où on ne l’attendait pas, signant non pas un nouveau disque mais un essai inclassable, considéré par certains comme un trip new age fantaisiste. Nous lui avons parlé, et surtout nous l’avons lu, histoire de ne pas en rester au préjugé.
Une mise au point, d’abord, pour ceux qui en douteraient: Paul Piché n’a pas pété les plombs. Il ne s’est converti ni à la numérologie ni à la scientologie, et n’a pas davantage intégré les rangs des raëliens. Ces jours-ci, il complète peinard la composition de son prochain album, qui sera bel et bien un album de Paul Piché et non l’errance new age de quelque James K. Field.
N’empêche, son essai Déjà vu, paru aux Éditions Michel Brûlé, suscite une certaine controverse, pour ne pas dire une inquiétude, l’auteur d’Heureux d’un printemps s’avançant sur un terrain délicat: la lecture de la mécanique secrète à l’oeuvre dans le retour des modes. En fait, il va jusqu’à établir une formule algébrique expliquant les corrélations entre les époques, formule qui va comme suit: 2(x-80)+45. "Au départ, les libraires ont placé mon livre dans la section spiritualité!" rigole-t-il, conscient de livrer un objet difficile à cerner.
Une toquade récente, cet intérêt pour les modes et leurs boucles dans le temps? "J’ai longtemps pensé écrire ce livre, en fait. Ça remonte même à une vingtaine d’années, mais je ne le faisais pas parce que c’est une idée assez longue à expliquer. Ça prend un moment avant qu’on comprenne que je ne suis pas un hurluberlu! Quand on ne fait que l’énoncer, mon calcul peut donner l’impression que j’essaie de prédire l’avenir ou un truc comme ça."
Paul Piché ajoute que s’il observait le phénomène, du côté des courants musicaux, de la mode vestimentaire – "Comme tout le monde, n’est-ce pas? Personne ne va contester que les modes reviennent les unes après les autres, qu’en 1980, on était revenu à 1945 par exemple…" -, s’il percevait que tout ça obéissait à une certaine mécanique, il a longtemps été bien embêté à l’idée d’en expliquer les rouages. "Puis je me suis rendu compte, l’hiver dernier, qu’il y avait une logique évidente derrière tout ça. Quand j’ai identifié que tout revenait selon un schéma très précis, j’ai eu envie de partager ça."
JOUÉ D’AVANCE?
Notre bien-aimé chanteur venait, en effet, d’en arriver à la conclusion qu’entre 1980 et 1997, nous avons vécu une sorte de boucle temporelle. En appliquant sa formule, nous pouvions établir à quelles années, entre 1945 et 1980, se raccrochaient l’année de départ (exemple: 1992 renvoie à 1969 et 1970, puisque durant ladite boucle, les motifs reviennent mais deux fois plus vite que dans la séquence initiale). Puis, à partir de 98, nouvelle boucle, à la vitesse supérieure cette fois (nous en sommes à quatre années pour une). Vous y êtes?
Évidemment, Piché fournit de très nombreux exemples, avançant même que des contre-exemples, "on n’en trouve pas beaucoup". De la chute du mur de Berlin, en 1989, en écho au "Ich bin ein Berliner" ("Je suis Berlinois") de Kennedy en 1963, qui en aurait été le lointain élément déclencheur, au succès de la chanson Dégénération (2004) du groupe Mes Aïeux, parfaitement "synchrone" avec la popularité de Garolou et ses airs similaires, en 73 et 74, tout s’explique!
Bon, la formule et les applications qu’on s’amuse à en faire éclipse une part du propos, c’est-à-dire une réflexion sur notre besoin d’envisager l’avenir à partir de motifs connus. "Là-dessus, je suis obligé de te donner raison", me dira le principal intéressé. "Ça me désole un peu d’ailleurs, parce que pour l’instant, ce qu’on dit du livre donne un peu l’impression que tout y est une affaire de mécanique, de chiffre et de prédiction. Mais ça, c’est un peu de ma faute: la formule a été intégrée au titre…" Paul Piché observe une pause, et revient à la charge: "En même temps, je le redis, il y a manifestement toute une mécanique derrière les courants et les modes, une forme de déterminisme structurel – même si je ne veux pas qu’on me croit déterministe. Tout n’est pas décidé d’avance, mais il y a des choses inévitables, à mon avis, qui reviennent tôt ou tard. Ce qui, pour moi, à l’échelle de la société, représente une façon d’intégrer les grands changements, d’absorber des traumatismes comme les guerres mondiales et la peur d’en vivre une troisième."
Vous suivez toujours?
RETOUR VERS LE FUTUR
Piché réfère bientôt au journaliste français Jean-François Kahn, auteur de Tout change parce que rien ne change (Fayard, 1994). Selon ce dernier, pour expliquer l’évolution sociale, il faut s’intéresser davantage à ce qui ne change pas qu’à ce qui change. Kahn développe en effet l’idée d’"invariance", selon laquelle "tout peut changer à condition de garder ce que l’on a déjà." Histoire de préserver les acquis, ou à tout le moins les repères.
Voilà une piste pas inintéressante du tout. Paul Piché aurait peut-être eu intérêt à y accorder plus d’espace. Mais il devait encore nous démontrer qu’à l’avenir, tout allait revenir plus vite que jamais. "Même les plus jeunes s’en rendent compte. Ils voient déjà revenir des modes qui ne remontent pas à leurs grands-parents, mais à leur propre adolescence!" Et son avenir à lui? Sa réflexion bouclée, le chanteur-essayiste dit avoir eu un plaisir fou à retourner à ses cahiers de composition. "Aussitôt après avoir remis mon texte à l’éditeur, je me suis assis au piano, et c’était reparti! Je m’étais libéré de quelque chose et je pouvais retourner à mes chansons."
J’en entends quelques-uns respirer…
Déjà vu
de Paul Piché
Éd. Michel Brûlé, 2007, 288 p.
PREMIER ESSAI
Sur un ton sympathique, évitant soigneusement le prêchi-prêcha, Paul Piché s’engage avec modestie dans le registre de l’essai. Il n’en développe pas moins une argumentation quelque peu hasardeuse. Ce 2(x-80)+45, annoncé en sous-titre, serait ni plus ni moins "la formule algébrique de notre inconscient collectif", qui permettrait d’établir avec une extrême précision la "synchronie" entre les époques. Non seulement en ce qui concerne les modes, mais aussi les grands événements politiques. On pourra contester, mais il faut lui donner ça: son Déjà vu ne se limite pas aux idées reçues…