Aline Apostolska : Je m'accommode, tu t'accommodes, ne nous accommodons pas!
Société

Aline Apostolska : Je m’accommode, tu t’accommodes, ne nous accommodons pas!

Apprenant la création de la commission Bouchard-Taylor, j’ai applaudi: à mes yeux d’immigrée française, elle constituait la preuve que le Québec avait intégré son statut de pays d’accueil (par simple nécessité de survie) et se donnait les moyens d’aller voir sur le terrain. Il faut de la maturité citoyenne pour prendre une telle décision, précisément parce qu’elle portait en soi le danger de voir déborder les limites du politiquement acceptable et gérable. Avoir provoqué une telle catharsis collective répond forcément à une volonté de nettoyage. L’Afrique du Sud a eu sa commission de réconciliation, le Québec a sa commission Bouchard-Taylor. Je regrette pour ma part qu’un tel décrassage ne soit pas encore possible en France, car cela contribuerait avantageusement à intégrer divers pans de la mémoire française qui n’en finissent pas d’immobiliser le pays.

Maintenant, après tout ce qu’on a entendu lors de ce tour du Québec, dois-je changer d’avis? Certes pas! Sans doute les propos exprimés ont-ils dépassé les attentes de certains et l’imagination de tous. Le plus dérangeant étant peut-être que les pires propos aient été tenus par les "de souche" (pourtant seuls les autochtones sont de souche icitte…) et, surtout, qu’on ait clairement pu entendre les "migrants" (autre appellation non contrôlée) tenir des propos bien plus rationnels et étayés, dans un français souvent très nettement meilleur! Mais c’est aussi ça la game: faire face à sa réalité. Quand on reçoit chez soi, on doit à la fois ouvrir sa porte et édicter les règles collectives à respecter. Or, depuis trois cent cinquante ans en Occident, les règles collectives passent par la laïcité: on ne va tout de même régresser sur ce point déterminant de la constitution d’une nation!

Le Québec, lui, continue de se définir contre les autres. Or, "je m’oppose donc je suis" est un stade non seulement primaire, mais précaire, de la conscience de soi. Un jour, il faut exister en soi, pas juste contre l’autre. Ce que la commission a confirmé, c’est que la conscience collective québécoise a un problème avec les immigrants. Avec les exilés, c’est simple: ils sont là par nécessité et ils sont en quelque sorte "sauvés" par le Québec. Alléluia! Mais avec les immigrants qui sont ici par désir et non par besoin, ça semble vraiment beaucoup plus dur: comme Français, on se fait sans cesse demander "pourquoi t’es venu?" (sous-entendu: es-tu un repris de justice pour avoir quitté Paris!), question corollaire de celle adressée aux Québécois anglophones "why did you stay?". Deux questions qui sont le reflet amer d’une piètre image de soi…

Je ne comprends pas: voilà un peuple qui a survécu à l’abandon français, à l’invasion anglaise, à l’Église catholique et même à l’indigence générationnelle, et en plus, a réussi une vraie révolution culturelle et artistique en trente-cinq ans, et qui malgré tant de triomphes n’en finit pas de se regarder par le petit trou de la lorgnette… C’est dommage et surtout fatigant. Exister, ce n’est ni s’opposer ni s’accommoder à tout bout de champ. Exister, c’est se regarder tel qu’on est. Je crois qu’à terme, la commission Bouchard-Taylor y aura bien contribué. Ne nous accommodons pas. Soyons des individus, typés et solidaires.