Ariel Ifergan : La fête de la différence
La notion d’accommodement entre des individus et des communautés a toujours fait partie de ma vie. J’ai grandi à Côte-des-Neiges dans un quartier ultra-cosmopolite. Ma grand-mère bretonne était très catholique, mon grand-père du Nord de la France était très athée, mon père est sépharade et ma mère s’est convertie au judaïsme (de son plein gré, rassurez-vous).
J’ai le plaisir de compter parmi mes nombreux cousins un très riche échantillonnage de toutes les variétés de juifs présentes à Montréal: des plus laïques aux plus orthodoxes, en passant par les conservateurs, les réformistes, les reconstitutionnistes, les traditionalistes, les francos, les anglos, les israélos et même quelques transfuges ashkénazes. Mes amis du secondaire sont français ou issus de la francophonie mondiale, mes collègues et amis artistes sont québécois, francophones, nationalistes, anticléricaux et athées, quoique très portés sur les spiritualités asiatiques et autochtones. J’ai même déjà été raciste et espère ne plus l’être.
Enfin, je suis depuis quelques semaines l’heureux père d’une belle petite fille. De mon point de vue, ma fille est, dans l’ordre ou dans le désordre, québécoise, canadienne, juive, française… et aussi un peu marocaine, et comme toute la famille de ma conjointe vient de Jonquière, j’espère qu’elle a aussi un peu de bleuet dans le sang.
Il y a beaucoup d’endroits dans le monde où les humains se tuent entre voisins pour des différences de couleur, de religion, de langue ou de nationalité. Ici, à Montréal, tout n’est pas parfait mais quand même. Ici, on discute ou on va au tribunal. Ici, il règne une paix sociale, un État de droit, la liberté d’expression et de culte, la charte des droits et libertés et autres richesses inestimables qu’on a malheureusement tendance à tenir pour acquises. Cette paix sociale si précieuse est beaucoup plus fragile qu’on ne le pense car on devient bien plus rapidement raciste que l’inverse.
Dans l’expression "accommodements raisonnables", je comprends qu’il faut avoir la volonté d’accommoder les uns et les autres et aussi qu’il faut être "raisonnable". La notion de bonne volonté est absolument nécessaire si on veut s’entendre.
Pour moi, il faut célébrer les débats sur la diversité, l’immigration et les accommodements raisonnables, que ce soit à l’intérieur d’une province, d’une communauté ou d’une famille. C’est une grande fête, la fête de la différence, de la richesse, de la curiosité plutôt que le festival des préjugés, de l’ignorance et de la récupération politique. Les artistes ont de grands rôles à tenir dans cette fête: ils témoignent, ils apportent de l’humour et de l’humanité. Ils défendent une diversité artistique qui s’appuie sur les mêmes fondements que la diversité humaine.