Bïa : Embrasser les conquêtes
Société

Bïa : Embrasser les conquêtes

Je suis farouchement attachée aux conquêtes que cinq siècles d’efforts intellectuels ont arrachées aux ténèbres, telles que laïcité, égalité des sexes et justice. L’Occident a connu les affres de l’Inquisition, des chasses aux sorcières, des autocraties. Ces injustices ont été combattues inlassablement, et chèrement ont été payées les victoires.

Mais de toutes les populations ayant, sur la planète, subi le musellement, la soumission, l’esclavage, aucune n’a été plus systématiquement asservie que la population féminine. Et si, en Occident, l’on croit avoir atteint, grâce aux luttes des hommes et des femmes éclairés, une nette progression dans le sens de l’égalité, cela n’est pas vrai en d’autres parties du monde. Or, si des populations, issues de parties du monde où cette question fondamentale est en évident retard historique par rapport aux pays occidentaux, cherchent refuge dans ces mêmes pays, ce ne peut être que pour mieux en embrasser les conquêtes, non pour les saper.

J’ai vécu comme fille d’exilés politiques dans trois différents pays, puis comme immigrée dans trois autres. Je considère que celui qui choisit de s’installer ailleurs doit, en connaissance de cause, être invité à s’adapter à la société qui l’accueille. Apprendre sa langue, ses lois et son évolution historique, comprendre sa culture, essayer d’y trouver sa place et de contribuer à son enrichissement. Être imprégné et imprégner, dans un esprit de pluralité. Celui qui souhaite s’expatrier tout en rejetant les valeurs du lieu de son choix, que désire-t-il vraiment? Est-ce là une démarche bien honnête? Permettez-moi d’être sceptique.

La culture, la connaissance, la curiosité, autant de clés pour l’entente entre êtres humains. Comme disait Victor Hugo, dans Les Misérables: "de la lumière, donnez-leur de la lumière", car la haine vient de l’ignorance, et c’est toujours par les livres, les chansons et les films que commencent les chasses aux sorcières. Donc oui, je ne cherche que cela, me cultiver, comprendre, alimenter mon esprit, et servir de transmetteur, de lien, de pont, car sans ces liens fragiles qui nous unissent en tissant des affinités affectives, nous cessons de nous soucier du sort de l’autre.

Je crois que nous devons être fiers d’avoir brisé les chaînes de l’Inquisition, et n’être jamais dupes de quiconque voudrait brûler l’intelligence sur l’autel de la superstition. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, mais vigilante.

Je suis une immigrée qui a aimé les valeurs de ce peuple et qui a voulu les épouser. C’est pour ça que je suis venue.