Olivier Kemeid : Redéfinir un contrat social
Je ne nie pas l’importance et le rôle de la religion dans le débat entourant les travaux de la Commission Bouchard-Taylor, mais n’y voir que cela masque l’enjeu crucial de cette période de notre histoire: le choc non pas des civilisations, mais des valeurs, dans un monde où l’ordre religieux n’a pas été remplacé.
À une certaine époque, l’immigration dans un pays où la religion régulait les valeurs était très simple: soit on s’assimilait, soit on restait très discret. Dans les faits, l’immigrant n’avait pas toujours le luxe de choisir sa voie, la majorité lui indiquant celle qu’il devait suivre. Aujourd’hui, l’ordre des valeurs n’est plus clair. De nombreuses questions d’accommodements sociaux se posent, car sans cesse l’immigrant nous renvoie à notre propre identité, notre propre mode de fonctionnement. Il nous dit: "Vous me refusez mon voile, mais il y a un crucifix sur le mur. Êtes-vous laïcs ou non? Vous me demandez une connaissance appropriée de la langue française, mais l’avez-vous vous-mêmes?"
Tout cela nous ébranle. Plutôt que de réagir avec frustration, peur et violence, nous devrions profiter de cet ébranlement prodigieux pour redéfinir un contrat social. Je conçois cette période de turbulences, pour reprendre l’expression qui fit beaucoup jaser, comme une période riche si elle est utilisée à bon escient et extrêmement pauvre si elle est détournée par le ressentiment. Or, il est vrai que, ces derniers mois, on a pu constater une vague d’inquiétude, une croyance en un supposé retour du religieux, une confusion dans le discours mêlant les Arabes, les musulmans, les talibans, etc.
Mais pour tout dire, ce qui m’a profondément marqué, lors des travaux de la Commission, c’est la rareté, pour ne pas dire l’absence, de discours critique. Entendre des gens attaquer leur propre culture, oui, voilà ce qui me manquait dans les doléances déposées à la Commission. Cette idée que l’être humain, d’où qu’il vienne, puisse s’extirper de son origine, sans pour autant la nier. Cette idée que l’homme doit critiquer sa culture pour pouvoir – il le faut – la changer. C’est cela, ce qu’on appelle la liberté: être capable de modifier sa vie malgré son environnement premier. Se dégager des déterminismes. Une liberté parfois lourde à porter et que certains ne semblent pas vouloir assumer, qu’ils viennent de Hérouxville ou de Dar es-Salaam.