Jean-Marie Pelt : Réussir le pari vert
Société

Jean-Marie Pelt : Réussir le pari vert

Jean-Marie Pelt, écologiste français, fondateur de l’Institut européen d’écologie, signe C’est vert et ça marche!, un essai qui, contrairement à bien des titres du genre, ne nous livre pas que des mauvaises nouvelles.

Voir: Jusqu’à récemment, la vaste majorité des essais sur l’écologie adoptaient un ton plus qu’alarmiste. Aujourd’hui, un nombre important d’écologistes, dont vous faites partie, préfèrent mettre l’accent sur les pistes de solutions à la crise actuelle. D’où vient cette évolution?

Jean-Marie Pelt: "On n’a jamais autant parlé, en Europe comme en Amérique du Nord, des problèmes graves liés à l’environnement. Il me semblait moins nécessaire de répéter ce que l’on sait déjà, je voulais plutôt sortir du catastrophisme ambiant. J’ai donc mis de l’avant des solutions qui fonctionnent. Pour cela, il a fallu trier en essayant de dénicher des gens responsables qui ont une conviction forte et qui ont réussi à faire bouger les choses chez eux."

On découvre donc dans votre livre des exemples concrets de succès verts, dont le virage écolo de deux grandes villes: Fribourg, en Suisse et Curitiba, au Brésil.

"En Europe, on a Lourdes pour la Sainte Vierge et Fribourg pour l’écologie! Tous les responsables de l’écologie y vont en pèlerinage. C’est la ville qui a poussé le ballon le plus loin en misant beaucoup sur les énergies renouvelables: on y voit des tours solaires, des éoliennes, des voitures communautaires, des vélos. Pourtant, ça n’a pas été facile. Le virage vert de Fribourg a coûté très cher financièrement. Quant à Curitiba, l’autre grand succès vert, il s’agit d’une ville de la taille de Montréal. Ses maires, faute de financement fédéral, ont décidé de créer un métro extérieur, un système hybride entre l’autobus et le métro traditionnel, avec des stations à même la rue. Mais ce n’est pas tout, depuis plus de 30 ans, les maires de cette ville ont agi dans les favelas, ont suivi un plan d’urbanisme strict qui s’attaque à l’étalement urbain, ont construit des centres où les enfants se familiarisent avec l’écologie et apprennent à s’impliquer dans la vie municipale. L’attachement à la cause environnementale des gens de Fribourg et Curitiba est quelque chose d’encore assez rare."

Face à la gravité du contexte actuel, le coeur du problème serait-il, en termes écologiques, de choisir le moindre mal lorsque nous envisageons de changer nos habitudes?

"Il n’y a pas de solutions miracle. En ce moment, le pétrole est de plus en plus cher, cela fait monter en puissance le coût du charbon. Je crois qu’il y a là une vraie question. Chaque source d’énergie comporte ses avantages et ses inconvénients. Il faut évoluer vers une sorte de bouquet énergétique. Chaque pays a ses spécificités. Vous, au Québec, pouvez miser davantage sur l’hydroélectricité qu’en Europe. L’énergie bois, c’est plus facile chez vous que chez nous."

Vous semblez dire dans votre livre que le bio-fioul à base d’éthanol est un substitut acceptable au pétrole. Pourtant, on sait aujourd’hui que l’éthanol a de gros défauts.

"Alors là je dis mea culpa. En effet, lorsque j’ai écrit ce chapitre, l’éthanol avait meilleure cote. C’est vrai qu’on ne peut pas dire que l’éthanol va remplacer le pétrole. Ce n’est pas raisonnable. Aux États-Unis, l’éthanol est un dérivé du maïs. Cela pose donc tous les problèmes de la monoculture en pire, parce qu’il y a beaucoup de pertes avec le maïs. De plus, les besoins en eau de cette culture sont énormes. Au Brésil, on tire l’éthanol de la canne à sucre. On rase donc des pans entiers de la forêt amazonienne pour faire place à la canne. Ce qui constitue un gâchis terrible en termes de biodiversité."

Que pensez-vous de la politique environnementale du Canada?

"Là, je dois dire que je n’ai pas compris ce qui s’est passé chez vous. Pour moi, le Canada a la vocation d’être le très bon élève de la classe. Vous avez une forêt extraordinaire, vous pouvez, pour vous chauffer, utiliser le bois, un combustible qui ne crée pas de gaz à effet de serre. Vous pouvez faire beaucoup du côté de l’hydroélectricité. Le reste du monde vous demande de faire très, très bien. Pourtant, le Canada a décidé de s’aligner sur les États-Unis et d’exploiter à outrance ses sables bitumineux. C’est dommage."

Jean-Marie Pelt
C’est vert et ça marche!
Éd. Fayard, 2007, 314 p.