Joseph Facal et André Pratte : À deux, c’est mieux?
Mis à part leurs divergences de vue sur l’avenir politique du Québec, l’ex-ministre péquiste Joseph Facal et le journaliste André Pratte s’entendent comme larrons en foire. Rencontre avec un souverainiste et un fédéraliste invétérés.
Voir: Vous démontrez éloquemment dans votre livre qu’un dialogue franc et ouvert est possible entre un fédéraliste et un souverainiste qui défendent farouchement des visions de l’avenir du Québec diamétralement opposées.
André Pratte: "C’est un débat important qui sombre trop souvent dans les insultes et les procès d’intention. Ce qui nous a motivés à écrire ce livre sous la forme d’échanges épistolaires, c’était justement de montrer qu’il y a moyen de présenter ces deux points de vue antinomiques avec vigueur et fermeté dans les convictions, mais aussi en se respectant l’un et l’autre. Dans le fond, pourquoi est-ce que ce débat est si émotif? Parce que nous aimons tous les deux le Québec. Moi, j’aime autant le Québec que Joseph. Je suis autant attaché à la terre, au territoire, à la langue du Québec, mais nous avons deux visions différentes de son avenir. Je n’ai aucun problème avec le nationalisme québécois. Moi-même, je me considère comme un nationaliste. À part cette épineuse question, Joseph et moi, nous nous entendons sur presque tout."
Joseph Facal: "Avec l’écriture de ce livre, nous voulions démontrer qu’il est certainement possible d’élever le ton du débat et d’avoir un dialogue civilisé qui n’exclut pas la fermeté dans les convictions, sans pour autant s’insulter ou s’excommunier. Mon souverainisme n’est absolument pas alimenté par un quelconque ressentiment à l’endroit de l’Anglais, qui ne m’a jamais opprimé. Mais, pour moi, les Québécois sont une nation. J’estime que décider soi-même grandit les individus et grandit un peuple. Je n’ai absolument rien contre le Canada, pays charmant, peuplé de gens plutôt gentils."
Joseph Facal, à la lecture de ce livre, on a l’impression qu’à l’instar d’un bon nombre d’indépendantistes, la souveraineté du Québec est pour vous une obsession.
J.F.: "Que je sois passionné par le noble projet de faire du Québec un pays, certainement. Obsédé, je ne le crois pas. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’en l’absence de souveraineté, le Québec ne peut rien faire. Je ne suis pas non plus de ceux qui pensent que tout progrès est impossible à l’intérieur du Canada. Mais, je continue à penser que tant et aussi longtemps que les Québécois francophones seront une minorité au sein du Canada, ils devront toujours, comme toutes les minorités, compter sur la bienveillance de la majorité. Dans une telle situation, ils ne contrôleront jamais pleinement leur destin. Pour le reste, quand on a une idée à laquelle on croit profondément, on ne s’en laisse évidemment pas détourner parce que le projet peut, comme c’est toujours normal que cela se produise, traverser des phases tantôt plus creuses, tantôt plus porteuses."
Pour vous, André Pratte, le fédéralisme canadien est, au contraire, un système flexible et pragmatique, très bénéfique pour le Québec.
A.P.: "Il y a deux raisons essentielles pour lesquelles je dis que le fédéralisme canadien fonctionne bien. La première raison: ce que nous sommes aujourd’hui, soit un des territoires les plus prospères, pacifiques et démocratiques du monde. Ce n’est pas rien! Deuxième raison: il faut changer le standard qu’on applique au fédéralisme. On dit souvent que le fédéralisme ne fonctionne pas parce qu’il y a des chicanes, des tensions… Tout système fédéral doit composer en son sein avec des tensions, des différends politiques… Le standard de réussite d’un système fédéral, c’est la façon dont il gère ces tensions. Je pense qu’à cet égard, le fédéralisme canadien réussit fort bien à gérer les tensions, mais il ne les fera pas disparaître, ça, c’est clair. Même s’il y avait demain un amendement constitutionnel qui satisferait temporairement les Québécois, le problème constitutionnel persisterait, car il est dans la nature même du Canada."
La reconnaissance officielle par le parlement du Canada de la nation québécoise a-t-elle modifié la donne du débat constitutionnel?
A.P.: "Quels que soient les motifs tactiques et stratégiques qui ont amené le gouvernement conservateur de Stephen Harper à prendre cette décision, il n’en demeure pas moins que le Parlement canadien, dans une vaste majorité, a reconnu pour la première fois que le Québec constitue une nation. On ne peut pas minimiser ni éluder cette motion historique, à moins qu’on dise que les gestes posés et les décisions adoptées par un parlement n’ont aucune valeur. Je pense que les conséquences concrètes de la reconnaissance du Québec comme nation se sont déjà manifestées dans beaucoup de cas. Il y a plein de domaines dans lesquels le Québec est traité différemment par le gouvernement fédéral par rapport aux autres gouvernements provinciaux du Canada. C’est pour cette raison que je pense que le traitement différent du Québec est souvent une réalité. Il manque par contre une reconnaissance formelle dans la constitution canadienne qui garantirait ce traitement particulier, ou en tout cas qui l’enchâsserait vraiment dans un texte plus formel. Mais on a quand même fait un grand pas."
J.F.: "Vous devinez la réponse que l’"obsédé de la souveraineté" que je suis donnera à cet argument! Chaque fois que le Québec a obtenu un statut particulier, ça n’a jamais été par gentillesse ou par sollicitude du Parlement fédéral, mais tout simplement parce qu’il s’est affirmé et qu’il a revendiqué très vigoureusement ce qui lui était dû. Autrement dit, les gains que le Québec obtient, il les obtient d’abord par ses propres efforts et mérites. Le maximum que le Québec peut espérer obtenir, c’est ce que la majorité canadienne lui consentira. Dans ce sens, il ne contrôle pas complètement son destin, du moins pas comme peuvent le contrôler les autres nations qui disposent de la totalité des pouvoirs à l’intérieur du territoire qui est le leur. Comme je l’explique longuement dans le livre, les revendications constitutionnelles du Québec sont chaque fois moins ambitieuses, et le refus du Canada de les écouter est chaque fois plus ferme. Ce constat indique bien la direction générale des choses, qui me semble être celle d’une espèce de banalisation progressive du Québec et d’une perte de son influence politique à l’intérieur du Canada. Évidemment, j’en viens à la conclusion que toutes les autres solutions ayant échoué, il ne reste aux Québécois que la solution ultime: la souveraineté du Québec."
André Pratte photo: Jean Martin |
Nombreux sont ceux aujourd’hui dans le Canada anglais qui affirment, avec une assurance souvent déconcertante, que le nationalisme québécois est en plein désarroi et déclin. Aucun de vous deux ne partage ce point de vue catégorique.
A.P.: "Méfions-nous de ceux qui ne cessent de claironner dans le Canada anglais que le nationalisme québécois est moribond. Les fédéralistes sont convaincus de leur projet, mais ils ne le disent pas beaucoup aux Québécois, ils n’ont pas tellement d’arguments. Je pense que les fédéralistes ont un travail énorme à faire parce que si le camp souverainiste est actuellement en période d’affaiblissement conjoncturel, les Québécois ne sont pas plus des militants ardents fédéralistes. Ces derniers ne sont pas plus vendus à l’idée fédérale qu’ils ne sont chauds à la souveraineté du Québec. Ils sont plutôt bien dans la situation actuelle. Mais demandez aux Québécois moyens de vous faire un plaidoyer en faveur du Canada, je ne suis pas certain qu’ils le feront."
J.F.: "Moi, ce qui me fait sourire, c’est la belle naïve régularité avec laquelle dans le Canada anglais on prophétise le déclin inéluctable du nationalisme québécois. Tous les six mois, dans The Globe and Mail, un éditorial grave l’épitaphe du mouvement nationaliste québécois. Et chaque fois, les nationalistes québécois reviennent en force sur la scène. Pourquoi? Parce qu’au fond, il n’y a rien de plus naturel pour un peuple que le sentiment national. Qu’il se définisse comme canadien, québécois, français, britannique… tout peuple veut savoir qui il est et tient mordicus à le dire au reste du monde. Force est de rappeler que le malaise dans la relation entre francophones et anglophones est antérieur à la construction du Canada moderne. Penser que le nationalisme québécois n’est qu’une petite tocade passagère, ça me paraît profondément naïf. Plus largement, regardez l’ensemble de l’Occident. Prenez les trois ou quatre derniers siècles. Quelle est l’idéologie la plus persistante dans le monde? C’est le nationalisme. Aimer sa patrie et vouloir qu’elle s’épanouisse, c’est un sentiment tout à fait naturel."
Pauline Marois est très réfractaire à l’idée de parler ouvertement de la tenue d’un nouveau référendum sur la souveraineté du Québec si le Parti Québécois revient au pouvoir. Sa pusillanimité sur cette question ulcère un bon nombre de souverainistes.
J.F.: "Si Pauline Marois ne parle pas tous les jours du référendum, c’est tout simplement parce qu’en toute lucidité elle prend acte du fait qu’au moment où nous nous parlons, il n’y a pas une majorité de Québécois qui veulent une nouvelle consultation référendaire ni la souveraineté du Québec. En ce sens, Mme Marois vit dans le réel. Les malaises idéologiques au Parti Québécois sont présents depuis le jour un de son existence. Il est tout à fait normal que quand un parti a un objectif si ambitieux et si difficile, il y ait inévitablement une pléthore de militants qui soutiennent qu’ils possèdent la clé pour parvenir à la souveraineté nationale. Je crois que ce qui fait beaucoup de tort au Parti Québécois depuis si longtemps, c’est de gaspiller tant d’énergies sur des considérations tactiques et stratégiques largement hypothétiques tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas clairement une majorité de Québécois qui veulent la souveraineté. En ce sens, la meilleure contribution que les militants péquistes pourraient apporter pour aider leur parti et leur chef, c’est d’expliquer aux Québécois pourquoi ils pensent que ce serait une bonne chose que le Québec devienne un pays. Le peuple québécois disposera ensuite de ces idées comme il le voudra."
Qui a raison?
de Joseph Facal et André Pratte
Éd. du Boréal, 2008, 223 p.