Hugo Latulippe : Pour la suite du monde
Société

Hugo Latulippe : Pour la suite du monde

Le cinéaste Hugo Latulippe revient sur la place publique. Cette fois-ci, il nous propose un nouveau projet de société avec la série documentaire Manifestes en série.

La série, qui sera diffusée par Canal D, comprend huit épisodes. Chacun d’eux traite d’un thème spécifique: l’agriculture, le transport, la culture, l’éducation, la santé, l’alimentation, l’économie et les ressources. Des thèmes certes nécessaires pour brosser le portrait d’une société. Mais ce qui compte réellement, selon le cinéaste, c’est qu’à la base de chacun des sujets traités est campé un modèle à combattre. Celui composé de la croissance économique à outrance, d’un "think big" ambiant et de l’efficacité sans limites. Face à ce standard, une inquiétude: que lèguera-t-on comme société à nos enfants? Rien de beau, selon Hugo Latulippe. Du coup, pourquoi ne pas faire de Manifestes en série un projet de société?

ACTION RÉACTION

Pour mettre ce projet sur pied, le cinéaste et son équipe ont parcouru le Québec pendant un an, à la recherche de gens de tous les domaines qui pratiquent leur profession en outsiders. Qu’il s’agisse d’un radio-oncologue hyper-attentionné avec ses patients, convaincu que la capacité d’entrer en relation avec ces derniers fait partie de la thérapie, d’un pêcheur de homards de la Gaspésie qui choisit de perdre de l’argent en rendant à la mer des femelles gigantesques afin de favoriser la reproduction, ou de professeurs qui enseignent avec un esprit dissident, les personnages de la série défient les modèles installés. "Ils luttent contre le piège de la facilité. Ce sont des citoyens qui se remettent continuellement en question, souligne Latulippe. La série a un esprit de corps, s’il y a quelque chose de commun aux huit chapitres, c’est bien cette notion d’anticonformisme. Que ce soit l’éducation ou la santé, pour moi, ce qui comptait, c’était de montrer des gens qui sont en réaction. On s’est beaucoup plus attardé à la question de l’échelle humaine qu’au thème que l’on traitait. On voulait montrer comment ces gens-là contribuent à un nouveau monde dans leur quotidien."

Le projet général du cinéaste était de fonder une sorte de famille. "Je trouvais intéressant de rassembler tous ces personnages venant de divers horizons, afin qu’ils se voient ensemble dans un projet global. Qu’en fin de compte, on puisse dire: voilà, c’est notre projet de société."

Alors, si l’accent est mis sur ce qu’ont à dire les intervenants, qui est le réel auteur du manifeste? Ceux-ci ou le cinéaste? "Je ne dis pas que mon manifeste est partagé par tout le monde présent dans la série, mais je m’inspire de ce que j’ai vu pendant un an. Dans son essence, le manifeste est assez documentaire. À un moment dans la série, je dis que nous sommes dans un pays qui n’est ni une colonie, ni une compagnie. Je crois qu’avec ça, je rallie tous les personnages."

DU DOCUMENTAIRE D’AUTEUR

Le cinéaste a joui d’une latitude créative totale et le résultat esthétique est remarquable. Autant dans les images, léchées et vives, que dans son commentaire en voix off. Son ton flirte avec le spoken word. Ça rappelle parfois le slameur français Grand Corps Malade et c’est voulu. Il a été la source d’inspiration de Latulippe, qui a écrit les textes. "J’ai travaillé avec le guitariste René Lussier. J’ai adoré ça. Il me donnait sa musique, je lui donnais mes textes et ensuite on échangeait. On a fait un réel travail de collaboration." Outre la qualité esthétique, ce qui frappe, c’est le ton du commentaire. Un brin poétique, plutôt baveux et vindicatif. "Ça fait partie de moi. Je suis baveux par rapport à une colère que j’ai et je ne vais pas m’en cacher. Il y a des épisodes où le ton est beaucoup plus incisif. La question de l’agriculture au Québec, par exemple, ça me tient vraiment à coeur. Et ça paraît dans mon commentaire."

Il va sans dire, Manifestes en série est une réelle série documentaire d’auteur. Le cinéaste ne le cache pas: le choix des personnages suit une ligne éditoriale forte. "Le but était de faire une série politique, c’est certain. Mais on ne voulait pas tomber dans la partisanerie. On ne parle jamais de la souveraineté dans la série. On avait envie d’aborder l’avenir du Québec d’une autre manière." Pourtant, l’affiche annonçant la série laisse présager tout autre chose. Difficile en effet de faire fi du symbole partisan du Patriote, caméra à la main… "Ce n’était pas mon idée, mais j’aime beaucoup le lien. Un patriote, c’est quelqu’un qui aime sa patrie, qui a envie de travailler pour elle. Et cette image, c’est un peu notre icône du révolutionnaire, notre image du Che à nous."

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TOUT LE MONDE DANS LE DÉBAT

L’équipe de Manifestes en série, en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde (INM), fera une tournée régionale de visionnements publics. Huit villes présenteront en primeur un épisode de Manifestes en série. Les artisans et personnages de la série ainsi que diverses personnalités seront présents, afin de débattre et de discuter avec la population.

La tournée débute le 10 avril à Montréal avec le premier épisode de la série, Moissonner le pays, qui traite de l’agriculture. Le visionnement a lieu à 19 h à Ex-Centris (3536, boulevard Saint-Laurent) et l’entrée est gratuite. Les détails de la tournée régionale se retrouvent à l’adresse canalD.com/manifestes. Quant à la série, elle sera présentée les lundis à 21 h, dès le 14 avril, sur les ondes de Canal D.