Hubert Reeves : La Terre en tête
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Hubert Reeves : La Terre en tête

Le célèbre astrophysicien Hubert Reeves, qui vient de publier ses mémoires, nous rappelle que l’humanité est "une espèce menacée d’extinction". Rencontre avec un Terrien profondément humaniste, taraudé par l’état alarmant de notre planète.

Voir: Votre livre est destiné particulièrement aux jeunes. Est-ce que ça vous préoccupe que de moins en moins de jeunes choisissent à l’université la filière scientifique?

Hubert Reeves: "On dénote aujourd’hui chez les jeunes une diminution de l’intérêt pour les sciences dites dures, c’est-à-dire les mathématiques, la physique, la biologie, la chimie, et un grand intérêt pour les sciences humaines, surtout relationnelles. On le voit dans les universités. Je crois que cette perte d’intérêt s’explique en partie par le fait que les sciences, la physique en particulier, ont aujourd’hui mauvaise réputation. Pour beaucoup de jeunes, physique et chimie = pesticides et énergie nucléaire. Il n’y a plus l’enthousiasme qu’on avait quand j’ai commencé à étudier la physique, dans les années 50. À mon époque, l’avenir de l’énergie passait obligatoirement par le nucléaire – j’ai changé d’avis depuis le drame de Tchernobyl -, la chimie était synonyme de guérison de plein de maux. Est-ce que je déplore que les jeunes d’aujourd’hui boudent les carrières scientifiques? Je ne le sais pas. La seule chose que je peux dire, c’est que la science donne accès à de beaux métiers. En ce début de 21e siècle, les jeunes sont inquiets pour leur avenir. Bon nombre d’entre eux sont convaincus que les métiers scientifiques sont peu lucratifs."

L’état actuel de la planète Terre vous inquiète beaucoup?

"Nous vivons dans une ère de dérives, caractérisée par une profonde inquiétude en ce qui a trait à l’avenir de la planète, et en particulier à l’avenir de l’espèce humaine. Cette inquiétude lancinante apparaît dans tous les journaux. Chaque fois qu’une enquête est faite sur l’état de notre planète, les résultats sont catastrophiques. Les problèmes auxquels nous faisons face sont très nombreux: le réchauffement climatique, la pollution, la diminution des sources d’énergie, l’érosion de la biodiversité, la disparition de quantité d’espèces vivantes… C’est vrai que le tableau n’est pas rose du tout."

N’y a-t-il pas quand même une lueur d’espoir?

"Oui. Depuis deux ans, il y a un changement radical, qui est très positif. La conférence de Bali sur le réchauffement climatique a été un tournant majeur. Pour la première fois, les dangers, les risques et les menaces qui pèsent sur notre planète et sur l’humanité ont atteint le niveau des décideurs. Avant, on se contentait de parler, mais les gouvernants de ce monde ne faisaient rien. Désormais, ces graves problèmes sont inscrits dans l’agenda des priorités des décideurs. Depuis la tenue de la conférence de Bali, partout dans le monde, des mesures en faveur de l’environnement sont adoptées. Y compris en Chine, un pays très conservateur qui vient de se lancer aussi dans le développement des énergies renouvelables. La Chine a planté un milliard d’arbres. C’est un pas immense."

Quel regard portez-vous sur la situation au Canada et au Québec en matière d’écologie?

"Au Québec et au Canada, il y a aussi des choses intéressantes qui sont en train de se passer. Le Pacte des générations est une remarquable initiative entièrement canadienne. Ce Pacte s’étend aujourd’hui de Halifax à Vancouver, en passant par le Québec. Les étudiants mettent désormais de la pression sur les recteurs et autres dirigeants des universités canadiennes pour que celles-ci deviennent des modèles dans le domaine du respect de l’environnement. C’est tout nouveau. Ce mouvement pro-écologie a démarré cet hiver. Les universités sont de grosses industries. Leur comportement est important concernant l’entretien des bâtiments et des pelouses, les pesticides qu’elles utilisent… Cette mobilisation étudiante est très salutaire."

Les étudiants québécois appuient-ils ce Pacte des générations?

"Absolument. Je suis venu donner des conférences dans les universités et les cégeps québécois pour promouvoir le Pacte des générations. J’ai vu chez les étudiants un grand enthousiasme. Les salles sont pleines à craquer. Il y a quatre ou cinq ans, quand je donnais des conférences dans les collèges du Québec, une poignée d’étudiants polis venaient m’écouter. Il y a quelques jours, j’ai donné une conférence à Sorel. Tout le campus du cégep de Sorel était très animé et éveillé. En matière d’écologie, les choses bougent beaucoup chez les jeunes Québécois. Ça, c’est l’aspect positif. Depuis deux ou trois ans, il y a des réactions à tous les niveaux. Le fait qu’on commence à reconnaître qu’il y a un danger et que celui-ci est provoqué par l’industrie humaine, c’est ce qui me rend optimiste."

Cependant, vous lancez dans votre livre un appel aux Québécois pour qu’ils ne s’assoient pas sur leurs lauriers en matière de défense de l’environnement.

"Il faut que le développement durable soit durable. Il ne faut pas que ce soit une bulle, un truc à la mode dont tout le monde parle avec engouement et ensuite, l’année suivante, on parle d’autre chose. Dans ce dossier capital, le Canada, qui était jusqu’ici un modèle dans le domaine écologique, s’est très mal comporté. Le gouvernement Harper n’est pas à citer en exemple. Avec ses sables bitumineux, le Canada est en train de devenir un des grands pollueurs de la planète. Le Canada souhaitait adhérer au protocole de Kyoto, mais quand Stephen Harper est arrivé au pouvoir, il a récusé Kyoto pour une raison très simple: il y a aujourd’hui autant de pétrole en Alberta qu’en Arabie. Mais pour extraire cet or noir, on doit recourir à des méthodes techniques extrêmement polluantes. C’est un vrai ravage pour l’environnement canadien."

Comment envisagez-vous l’avenir de l’humanité à l’ère du réchauffement climatique?

"Une chose dont on prend conscience aujourd’hui, et à laquelle nous ne sommes pas habitués, c’est que l’humanité est une espèce parmi des millions d’espèces. Au fil du temps, des millions d’espèces ont disparu. Nous, humains, sommes aussi une espèce périssable. Les gens sont étonnés quand je dis ça dans mes conférences. On a toujours vécu avec l’idée que les humains étaient une espèce bénie des dieux, immortelle, exemptée, croient certains. C’est faux. L’humanité pourrait disparaître. Le but de toutes les mesures que nous prenons aujourd’hui pour protéger notre planète est d’empêcher que l’humanité ne soit la victime de la sixième extinction. Un scénario plausible parce que quand on demande aux biologistes quelles sont les espèces susceptibles d’être éliminées par notre propre activité, ces derniers répondent unanimement: tous les grands arbres et tous les mammifères de plus de deux kilos. Nous, humains, sommes dans le collimateur! Personne ne connaît l’avenir. Je ne sais pas du tout quel sera l’aspect de la Terre en 2030. Je n’en ai pas la moindre idée. Ça pourrait être beaucoup mieux ou bien pire. C’est un combat ardu, qui est loin d’être gagné."

Je n’aurai pas le temps
d’Hubert Reeves
Éd. du Seuil, 2008, 340 p.

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LA MUSIQUE DES SPHERES

Hubert Reeves aime moins parler de lui que des causes qu’il défend. Je n’aurai pas le temps, son autobiographie qui vient de paraître au Seuil cette semaine, n’en est que plus fascinante. Il aborde avec candeur son enfance à Bellevue, ses études à Brébeuf, son éveil à la science, sa carrière académique, son rôle de chercheur, de vulgarisateur et d’activiste. En outre, on y découvre un mélomane averti et passionné, pour qui les salles de concert sont comme des églises. Il a d’ailleurs organisé les chapitres de ses mémoires comme les actes d’un opéra ou d’une symphonie: prélude (allegro), ouverture (vivace), développement (andante). "Je ne sais pas comment j’aurais pu vivre sans la musique, écrit-il. Elle m’habite véritablement. J’en ai besoin comme d’une drogue. Sans la musique, je sens comme un malaise, une aridité, un vide." Un parcours exceptionnel à redécouvrir. (C.B.)