krach écologique : Survivre à 2030
Le "krach écologique" aura lieu en 2030! prédit l’environnementaliste française Geneviève Ferone dans un livre-choc à forte saveur apocalyptique. Récit d’une dérive inéluctable.
Voir: D’après vous, 2030 sera l’année d’un grand "krach écologique". Pourquoi?
Geneviève Ferone: "2030 n’est pas une date prise au hasard. Quand on lit les projections des scientifiques du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat) ou les rapports de l’OCDE, la majorité des scénarios prédisent une augmentation de la température terrestre pour 2100. Je me suis dit que cette date-là, qui est encore très lointaine, ne mobilise absolument personne parce que la nature humaine est faite de telle sorte que quand ça dépasse un petit peu nos échéances à court terme, on a du mal à se mobiliser.
J’ai retenu l’année 2030 pour quatre raisons: 1) L’échéance climatique des +2 oC, qu’il vaudrait mieux ne pas dépasser. Pour faire en sorte que, d’ici 2030, de nouveaux degrés ne s’ajoutent pas à la hausse des températures déjà chiffrée à +2 oC, il faudrait économiser chaque année 30 milliards de tonnes d’"équivalent CO2". C’est une tâche titanesque. 2) L’échéance démographique, avec des besoins impossibles à satisfaire pour 8,2 milliards d’humains. 3) L’échéance énergétique, avec l’épuisement des ressources pétrolières. 4) L’échéance de la croissance, avec l’espoir de centaines de millions d’individus d’accéder au confort à l’occidentale."
Vous êtes assez pessimiste en ce qui a trait à la possibilité que les énergies renouvelables remplacent le pétrole dans un futur proche.
"Quand vous lisez des articles dans la presse sur l’énergie solaire, les éoliennes ou l’énergie nucléaire, vous vous dites que la relève est prête, qu’on n’a pas de souci à se faire. En fait, c’est un trompe-l’oeil parce que quand vous regardez les puissances électriques que peuvent générer les énergies renouvelables, et les problèmes de l’intermittence quand il s’agit du solaire et de l’éolien, vous réalisez que jamais les grandes usines, les grandes cimenteries, les grandes aciéries du monde ne pourront tourner avec du solaire ou de l’éolien. Jamais les avions ne pourront voler avec du solaire ou de l’éolien. Nous avons 20 ans de retard. Si, il y a une vingtaine d’années, on avait investi massivement dans les énergies renouvelables, on serait aujourd’hui dans un parc énergétique probablement plus performant. Mais il ne faut absolument pas s’imaginer qu’en 2030, les énergies renouvelables seront la solution miracle. C’est complètement faux, et on ne le dit pas assez."
Selon vous, l’Inde et la Chine, deux géants économiques qui sont parmi les plus grands pollueurs de la planète, pourraient éviter le krach écologique. Comment?
"L’Inde et la Chine n’ont pas adhéré au protocole de Kyoto. C’est une des raisons pour lesquelles les États-Unis n’y ont pas adhéré non plus. En Chine, on enregistre chaque semaine l’entrée en service d’une centrale électrique au charbon. Si on était cynique, on pourrait se dire que c’est inutile de s’exciter puisque l’avenir climatique et énergétique du monde est entre les mains des Chinois et des Indiens, donc que c’est à ces derniers de s’entendre, de prendre des décisions politiques et d’imposer, d’une manière musclée et coercitive si nécessaire, des politiques économiques et énergétiques. Nous, petits Européens et petits Canadiens, ce que nous pouvons modestement faire dans notre coin pour endiguer le réchauffement climatique sera gommé par l’"effet volume" des économies indienne et chinoise. C’est tout à fait vrai quand on regarde la loi des grands nombres: avec l’"effet volume", les Chinois et les Indiens ont vraiment la capacité d’infléchir les futures productions de gaz à effet de serre. Mais, en même temps, cette réalité ne doit pas exonérer les Occidentaux d’être créatifs et d’être déjà dans l’édification d’une gouvernance mondiale."
Le Canada boude aussi l’accord de Kyoto.
"En fait, le Canada a signé Kyoto, mais le gouvernement de Stephen Harper a annoncé qu’il ne pourrait pas atteindre les objectifs énoncés dans ce protocole. Le Canada est effectivement dans une position compliquée parce qu’en ce qui a trait à la partition énergétique, il a encore des choses très importantes à faire, ne serait-ce que l’extraction du pétrole et l’exploitation des sables bitumineux dans l’Ouest du pays. Le Canada est un pays minier qui n’a pas forcément envie de se tirer une balle dans le pied, c’est-à-dire de renoncer à une manne qui va lui permettre de jouer un rôle majeur au cours des 20 prochaines années, avec le Venezuela, l’Iran, l’Irak et la Russie. Le Canada sera un des rares pays qui seront encore en mesure de produire des énergies fossiles. On sent bien que les Canadiens sont parfaitement conscients des enjeux causés par les dérèglements climatiques. Vous avez des repères beaucoup plus forts que ceux des Européens: l’impact du réchauffement climatique sur les écosystèmes, la biodiversité. Année après année, vous voyez des choses qui se dérèglent. Il y a au Canada une conscience environnementale mais, en même temps, il y a des intérêts économiques énormes qui sont en train de se jouer sur les dernières décennies des énergies fossiles. La position du Canada est très ambiguë et, à mon avis, elle n’est pas très tenable dans le temps. Donc, les Canadiens devront faire un choix."
Pour vous, la mise en oeuvre d’un "plan Marshall du climat" est la seule "issue réaliste et viable" pour que vos sombres prophéties ne se réalisent pas.
"Il faut absolument que de l’argent soit injecté de façon univoque, volontariste et, probablement, permanente pendant 20 ans pour développer des technologies propres. Les technologies propres ne doivent pas être l’apanage des pays riches industrialisés. Il faut que le décollage économique de tous les pays émergents se fasse aussi avec des technologies qui soient propres, donc des modes de vie et des répartitions des richesses qui soient équitables. Si on ne prend pas conscience de cet enjeu majeur, on s’en va vers un mur. Je me dis que l’instinct de survie va être activé. La question est de savoir à quel moment. Pour les pays du Tiers-Monde, l’instinct de survie, c’est sortir de la pauvreté. Dans les pays développés, comme les nôtres, on se rend compte déjà que le pouvoir d’achat s’érode, que la croissance va s’assagir, que le coût des matières premières est de plus en plus onéreux, que le climat se dérègle, que la biodiversité s’épuise… Peut-être que la prochaine étape sera de se dire: "Mettons toute notre volonté politique et tous nos investissements dans une économie, une croissance qui sera une croissance propre." Ça ne veut pas dire qu’on va retourner vivre dans des grottes et des cavernes, pas du tout. Mais je crois qu’il est vraiment temps d’inventer une quatrième ère industrielle."
2030, le krach écologique
de Geneviève Ferone
Éd. Grasset, 2008, 285 p.