Marie-Monique Robin : La duperie Monsanto
Société

Marie-Monique Robin : La duperie Monsanto

Les organismes génétiquement modifiés – OGM – sont un "grand leurre" qui met sérieusement en danger la sécurité alimentaire mondiale, affirme la journaliste et réalisatrice française Marie-Monique Robin dans le livre Le Monde selon Monsanto, une enquête-choc très troublante.

Voir: Votre enquête sur Monsanto est surtout un réquisitoire vitriolique contre les OGM.

Marie-Monique Robin: "Ça fait 20 ans qu’on nous promet des OGM qui serviront à quelque chose. Or, le problème, c’est qu’aujourd’hui, il n’y a pas d’autres OGM que ceux qui existent dans les champs, c’est-à-dire, à 90 %, ceux fabriqués par Monsanto. Or, ces OGM sont des plantes pesticides qui n’ont pas été testées rigoureusement. On peut toujours parler de choses qui n’existent pas, c’est la grande astuce de ceux qui défendent vigoureusement les biotechnologies. Les seuls OGM qui ont pignon sur rue, que je décris dans mon livre, sont des plantes conçues en laboratoire par Monsanto pour absorber du Roundup, l’herbicide le plus vendu au monde, par Monsanto, très nocif pour l’environnement. Jusqu’ici, les expériences sur les OGM cultivés n’ont pas apporté la preuve ni de leur innocuité pour la santé et l’environnement, ni de leur capacité à intensifier la production alimentaire pour vaincre la faim dans le monde."

Le Roundup a-t-il des effets néfastes sur la santé?

"Oui. Le Roundup est un produit très cancérigène dont les champs du Canada, des États-Unis et de l’Amérique latine sont inondés actuellement. Je cite dans mon livre les résultats de plusieurs grandes études qui prédisent que l’utilisation abusive du Roundup provoquera une très grande catastrophe sanitaire, qui est déjà en cours. La situation est très inquiétante au Canada, où le soja Roundup Ready produit par Monsanto est consommé par les Canadiens, sans aucun test. La question que les Canadiens et les Québécois devraient se poser est: comment a-t-il été possible de semer ces plantes pesticides dans les prairies canadiennes sans que celles-ci aient été préalablement soumises à des tests toxicologiques?"

D’après vous, le "principe d’équivalence en substance", imposé par Monsanto au niveau mondial, est "une immense duperie". Pourquoi?

"Monsanto a réussi un tour de passe-passe inouï: l’adoption du "principe d’équivalence en substance", par lequel une plante OGM est déclarée similaire à une plante traditionnelle. Repris partout dans le monde, ce "principe" a permis l’extension planétaire des cultures OGM sans aucun contrôle sérieux de leurs effets sur la nature ou sur la santé humaine. Ce "principe d’équivalence" est une incroyable entourloupe! Même un haut responsable de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence fédérale américaine chargée de la sécurité des aliments et des médicaments, James Maryanski, "coordinateur pour la biotechnologie" que j’ai interviewé au cours de mon enquête, a reconnu que le "principe d’équivalence en substance" n’a aucune base scientifique, qu’il est plutôt la résultante d’une décision purement politique, adoptée en 1992 par le gouvernement républicain de George Bush père pour permettre à Monsanto d’accroître ses exportations en limitant les contraintes, dont les tests de toxicité."

Vous démontrez éloquemment dans votre enquête que Monsanto est aujourd’hui le maître d’oeuvre de la "seconde révolution verte".

"La première révolution verte était dirigée par le secteur public: les agences gouvernementales contrôlaient la recherche et le développement agricoles. La seconde révolution verte est dirigée par Monsanto. La première révolution verte avait certes l’objectif caché de vendre plus de produits chimiques et de machines agricoles, mais sa motivation principale était tout de même de fournir plus de nourriture et d’assurer la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale. La seconde révolution verte n’a sûrement pas pour objectif d’assurer la sécurité alimentaire. Son seul but est d’augmenter les profits de Monsanto, qui a réussi à imposer sa loi un peu partout dans le monde."

"La loi de Monsanto, c’est celle des brevets", affirmez-vous.

"Tout à fait. La principale stratégie de Monsanto est basée sur les brevets. La firme a toujours dit que la manipulation génétique était un moyen d’obtenir des brevets, c’est son principal objectif. Une fois qu’elle impose comme norme le droit de propriété sur les graines génétiquement modifiées, Monsanto peut encaisser des royalties. En contrôlant les semences, Monsanto contrôle la nourriture, c’est sa stratégie. Cette pratique réduit énormément les variétés agricoles disponibles sur le marché. Des agriculteurs canadiens de la Saskatchewan, qui étaient a priori pro-OGM, m’ont dit qu’ils étaient très tristes qu’il n’y ait plus de colza non transgénique, car désormais, tous les sols sont contaminés par le Roundup."

Y a-t-il une corrélation entre les émeutes de la faim qui ont eu lieu ces dernières semaines dans plusieurs pays du tiers-monde et la logique alimentaire implacable dont vous décrivez les ressorts dans votre livre?

"Oui. Les émeutes de la faim qui se sont multipliées ces derniers mois sont la conséquence directe de la situation alimentaire et agricole désastreuse qui sévit dans les contrées les plus pauvres. Cette situation est une des résultantes pernicieuses de la mondialisation. Après avoir sillonné de nombreuses fois les campagnes d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, j’ai compris que la sécurité alimentaire passe d’abord par une agriculture vivrière qu’on soutient, c’est-à-dire des petits paysans dans les pays du tiers-monde qui sont soutenus par le biais d’initiatives concrètes."

Les Canadiens ont été les premiers à contrer les desseins hégémoniques alimentaires de Monsanto.

"Monsanto a subi son premier grand revers en 2004, quand les producteurs et les leaders de l’industrie du blé du Canada ont catégoriquement refusé de semer le blé Roundup Ready, fabriqué par la multinationale de Saint-Louis dans ses laboratoires. Les producteurs canadiens de blé tenaient mordicus à préserver l’excellente qualité de leur blé, dont 80 % est exporté à l’étranger. Une deuxième raison fut invoquée par ces derniers: la perte de biodiversité du blé allait mettre en danger toutes les variétés de blé conventionnelles. Ce fut la première grande reculade de Monsanto, qui a investi des centaines de millions de dollars en développement pour mettre au point le blé Roundup Ready."

Le Monde selon Monsanto. De la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut du bien
de Marie-Monique Robin
Préface de Nicolas Hulot, postface de Louise Vandelac
Éd. Stanké, 2008, 377 p.

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LE MONDE SELON MONSANTO, LE FILM

Parallèlement à l’écriture de son livre, Marie-Monique Robin a réalisé un documentaire sur Monsanto, qui prend l’affiche à Montréal vendredi dans le cadre de la semaine Écran vert de l’ONF (voir l’article dans la section cinéma). (K.L.)