Normand Mousseau : Énergie: le Canada dernier de classe
Société

Normand Mousseau : Énergie: le Canada dernier de classe

Le Canada et le Québec n’ont jamais eu une politique énergétique pour affronter les crises pétrolières. Ils sont, plus que jamais, "otages" des grandes compagnies pétrolières, rappelle le physicien Normand Mousseau dans un excellent livre où il analyse les ressorts et les enjeux de la flambée du prix de l’or noir.

Voir: D’après vous, en dépit de ses réserves pétrolières importantes, le Canada est "un nain énergétique". Pourquoi?

Normand Mousseau: "Le Canada n’a aucune politique énergétique, ni aucun outil d’intervention, pour affronter la crise pétrolière qui sévit actuellement au niveau mondial. C’est consternant! Le Canada possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, essentiellement sous forme de bitume. Pourtant, la structure de l’industrie pétrolière canadienne ainsi que sa fiscalité nous placent parmi les pygmées. Alors que dès le début des années 1950, la plupart des pays producteurs de pétrole ont décidé de prendre le contrôle de cette ressource énergétique en nationalisant, entièrement ou en partie, leur industrie et en imposant des redevances importantes aux pétrolières, le Canada n’a rien fait. Nous payons aujourd’hui très chèrement le prix de cette inertie. Jusqu’à présent, le Canada a adopté de son plein gré un rôle de subalterne à l’endroit des Américains, que nous laissons gérer comme ils veulent nos ressources fossiles."

Selon vous, le traité de l’ALÉNA pénalise aussi grandement le Canada sur le plan énergétique.

"Tout à fait. Le traité de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALÉNA), en vigueur depuis 1994, contient une clause de traitement national du pétrole qui empêche le Canada de limiter les exportations de son pétrole vers les États-Unis, à moins de diminuer proportionnellement sa propre consommation. Le Mexique, pourtant dans une position économique beaucoup moins favorable que notre pays, a refusé de signer cette clause, préservant ainsi ses droits de regard à l’endroit de cette ressource essentielle. Cette clause des plus inéquitables interdit au Canada de faire une distinction entre un citoyen canadien et un citoyen américain."

Le Québec est-il mieux outillé que le Canada pour affronter cette nouvelle crise pétrolière?

"Non. Le Québec, qui ne produit pas de pétrole, est totalement dépendant de ses importations d’or noir provenant du Canada ou du Moyen-Orient. Cette année, le Québec a enregistré un déficit commercial, dû en bonne partie à la flambée des prix du pétrole. À l’instar du Canada, le Québec n’a pas non plus une politique susceptible de l’amener progressivement vers une indépendance énergétique. Il n’y a pas de solutions miracles. C’est à la population et au gouvernement québécois de s’asseoir et de décider quelles sont les options les plus réalistes, et les plus viables, pour affronter la crise pétrolière qui nous assaille."

Quelles solutions préconisez-vous?

"Le Québec doit incessamment s’atteler à bâtir un modèle à la suédoise, c’est-à-dire favoriser une diminution de l’utilisation de l’automobile et une augmentation de l’utilisation du transport en commun. Les Québécois doivent se tourner aussi vers l’automobile électrique parce qu’ils ont une richesse inouïe: l’hydroélectricité. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le réseau de trains de banlieue, mis en place dans la région montréalaise il y a une quinzaine d’années, fonctionne au diesel et non à l’électricité, alors que le circuit ferroviaire européen est entièrement électrifié depuis longtemps."

Vous recommandez fortement de tabler sur le couplage de l’hydraulique et de l’éolien.

"Absolument. On est en train de développer au Québec un parc éolien qui, avec l’hydroélectricité, constituera le partenaire idéal en termes d’énergies renouvelables. En effet, quand il y a du vent, on peut arrêter les turbines des barrages hydroélectriques, l’eau est préservée dans les réservoirs. Quand le vent tombe, on a à ce moment-là un surplus d’eau qu’on pourra utiliser pour produire plus d’électricité. Donc, il y a moyen d’équilibrer l’énergie éolienne et l’hydroélectricité. Ce qui est incroyable, c’est qu’il n’existe pas encore au Québec un seul groupe de recherche, qui devrait être financé par Hydro-Québec, chargé d’étudier les modalités d’arrimage de l’hydroélectricité et de l’éolien. Nous sommes encore nuls dans ce domaine vital pour l’avenir de l’économie québécoise!"

Une des solutions que vous prônez est l’aménagement de certaines zones urbaines et du transport en commun.

"Au Québec, on devra, tôt ou tard, élaborer des concepts d’aménagement qui permettent aux citoyens de vivre dans un environnement qui leur convienne tout en assurant une densité suffisante pour que le transport en commun puisse être implanté efficacement. Il y a des banlieues importantes à la périphérie de Montréal dont le zonage est tellement incongru qu’on n’a pas le droit de construire des commerces. Ce sont des banlieues résidentielles où le dépanneur le plus proche est situé à cinq, huit ou dix kilomètres. Ça n’a pas de sens. Si on "rezonait", on pourrait aménager près de ces banlieues des petits centres commerciaux où les gens pourraient se rendre à pied, en vélo ou en voiture – sur une courte distance de moins de un kilomètre. Ça réduirait considérablement l’utilisation de l’automobile sans affecter la qualité de vie des habitants de ces banlieues.

En parallèle avec ces nouveaux développements urbains, il faudra investir dans les transports en commun reliant Montréal et ses banlieues, mais aussi les divers villages et villes du Québec."

À court terme, quelles mesures devraient être prises par le gouvernement de Stephen Harper pour amortir les effets néfastes de ce nouveau choc pétrolier?

"Le Canada et le Québec sont en excellente position pour éviter une catastrophe. Cependant, pour l’instant, les Canadiens et les Québécois sont les otages des pétrolières. Le gouvernement fédéral devrait cesser de subventionner les pétrolières. Ça n’a aucun sens! Au contraire, il devrait les taxer davantage. Ottawa subventionne les pétrolières en leur accordant des taux d’imposition plus faibles. Le fait que le Canada n’ait pas paraphé l’accord de Kyoto, c’est une autre subvention directe accordée à l’industrie pétrolière parce qu’on ne la force pas à mettre en place les mesures nécessaires pour éviter la propagation de gaz à effet de serre. Si on taxe davantage les bénéfices astronomiques des pétrolières, celles-ci n’auront aucune excuse pour continuer à augmenter le prix de l’essence. Baisser la taxe sur l’essence, comme beaucoup de gens le demandent actuellement, ce n’est pas une solution car une telle mesure ne jugulera pas la flambée des prix à la pompe.

Au bout du pétrole. Tout ce que vous devez savoir sur la crise énergétique
de Normand Mousseau
Éd. MultiMondes, 2008, 145 p.