Les Jeux olympiques de Pékin : Le péril jeux
Société

Les Jeux olympiques de Pékin : Le péril jeux

Les Jeux olympiques de Pékin seront "une sinistre farce" et une "cuisante défaite" pour les droits de l’Homme, affirment deux spécialistes français des questions olympiques, Fabien Ollier et Marc Perelman, dans un livre sulfureux. Un réquisitoire décapant contre le Comité international olympique (CIO) et la Chine, qui donne froid dans le dos.

Voir: Vos appels au boycottage des Jeux olympiques de Pékin se sont avérés infructueux puisque ce grand rendez-vous sportif a bel et bien lieu.

Marc Perelman: "C’est vrai que ceux qui se sont mobilisés contre les Jeux olympiques de Pékin sont extrêmement peu nombreux. Ça ne veut pas dire qu’ils ont tort, ça veut simplement dire qu’ils ont été très peu nombreux à avoir réfléchi durant plusieurs années à ce que signifie la préparation des Jeux olympiques du point de vue chinois, à ce que vont être ces Jeux et à ce qui risque de se passer après la tenue de cet événement. Je pense que les opposants à l’organisation de ces Jeux à Pékin sont dans la "vérité", mais ils sont totalement isolés, voire boycottés par à peu près tout le monde. Chose certaine, participer aux Jeux olympiques de Pékin, c’est conférer un label de respectabilité à un régime politique totalitaire et sanguinaire qui fait régner une répression et un embrigadement intérieurs abominables et qui fait preuve d’une volonté belliciste, impérialiste et colonisatrice envers certaines régions et certains pays, comme le Darfour, Taïwan, le Japon, le Tibet et de nombreux pays d’Asie du Sud-Est."

D’après vous, la tenue des Jeux olympiques en Chine est une "cuisante défaite" pour les droits de l’Homme.

"Chaque fois que les Jeux olympiques sont organisés par des pays totalitaires, les droits de l’Homme sont écrasés, de même que certaines valeurs qui me paraissent fondamentales: la liberté de protester, la solidarité entre les individus, l’émancipation… Chaque fois, ces valeurs cardinales sont bafouées au profit de valeurs sportives. On nous dit que les Jeux olympiques sont le grand rassemblement de la jeunesse mondiale. C’est faux. Ces Jeux sont le grand rassemblement de la jeunesse sportive, de la jeunesse dopée. On le voit aujourd’hui en Chine. Les Jeux olympiques, c’est le moment où les droits de l’Homme sont bafoués sans la moindre gêne. Pour s’en apercevoir, il suffit de lire les rapports d’Amnistie internationale, de Reporters sans frontières, de Human Rights Watch… qui affirment tous qu’il y a une répression de plus en plus importante en Chine. Des dissidents, des avocats, des cyberdissidents, des étudiants contestataires chinois sont envoyés en prison tous les jours. Les Jeux olympiques sont le contraire de ce qu’ils prétendent être: un moment d’ouverture. Cette manifestation est plutôt un moment de fermeture, en tout cas pour ceux qui opposent une parole différente."

Vous reprochez au CIO d’avaliser insidieusement la politique répressive des autorités chinoises.

"Absolument. Le CIO est complice de ce qui se passe actuellement en Chine et de ce qui s’est passé ces derniers mois dans ce pays. Derrière leurs propos toujours lénifiants et leur pseudo-volonté de promouvoir la démocratie en Chine, le CIO et son président, Jacques Rogge, participent aussi de plain-pied à contrer les élans démocratiques de la jeunesse chinoise. Le CIO, qui a décidé d’attribuer les Jeux olympiques à Pékin, s’est cloîtré dans un mutisme abyssal quand la Chine a décidé d’en finir avec le Tibet. Il a simplement dit qu’il voulait une réouverture du débat. On tue, mais il faut rouvrir le débat avec les Tibétains. Le cynisme à son paroxysme!"

Donc, selon vous, il y a "une collusion" entre le CIO et le Parti communiste chinois.

"C’est indéniable qu’il y a une collusion entre le CIO, le Comité organisateur des Jeux olympiques de Pékin et le Parti communiste chinois pour briser toute dissidence, toute possibilité d’une voix autre, démocratique. Par ailleurs, le CIO sait parfaitement que des centaines de milliers d’individus ont été expulsés de leur demeure par les autorités pékinoises pour qu’on puisse construire des stades, des installations sportives… Les services policiers d’"aseptisation" de Pékin ont évincé les indésirables, les mendiants, les prostituées, les malades mentaux, les chômeurs… Une fois les rubans des chantiers olympiques coupés, les 22 000 personnes accréditées pour ces Jeux olympiques ne voient qu’une vitrine impeccable plantée de verdure et hérissée d’immeubles high-tech. Tout ça pour 15 jours de sport!"

D’après vous, le CIO "gère le sport comme une multinationale prédatrice de plus en plus liée aux mafias, au crime organisé, aux trafics de drogue et aux affairistes, magouilleurs et escrocs sans scrupules". Ce réquisitoire vitriolique n’est-il pas excessif?

"Aujourd’hui, le CIO est une multinationale qui a des intérêts directs dans de nombreux pays, en particulier en Chine, où cette institution supranationale organise pour les autres, mais aussi pour elle, une ouverture du marché. Il suffit de se rappeler les prévarications et les concussions qui ont eu lieu, en 2002, lors des Jeux olympiques d’hiver de Salt Lake City pour comprendre que le CIO n’est absolument pas une entreprise de bienfaisance, mais au contraire une véritable multinationale, dotée d’un budget équivalent à celui d’un État européen moyen. De plus, le CIO est un lieu non démocratique. Ses membres ne sont pas élus démocratiquement. Il y a une méconnaissance complète de cette ONG au statut très particulier. Son statut juridique n’est pas clair. Le CIO est un organisme qui arrange énormément de pays, particulièrement les pays non démocratiques."

Vous affirmez dans votre livre que des usines chinoises associées aux Jeux olympiques de Pékin exploitent d’une manière éhontée leurs travailleurs, qui sont souvent des enfants de 11 ou 12 ans.

"Les Jeux olympiques non seulement n’améliorent pas le quotidien des ouvriers ou des travailleurs, des paysans du pays d’accueil, mais ils l’aggravent considérablement. En vue des Jeux olympiques, toute une industrie qui leur est rattachée s’est développée en Chine. La production gigantesque de "produits olympiques": sacs, casquettes, articles de papeterie… entraîne une augmentation générale des heures de travail dans les usines, une diminution de la sécurité et de l’hygiène, la détérioration des conditions de travail. Le rapport que viennent de publier les associations de syndicats internationaux est accablant pour plusieurs usines chinoises officiellement accréditées pour les Jeux olympiques: ouvriers sous-payés, utilisation d’enfants âgés de 12 ans sur les chaînes de production, journées de travail de 12 heures, 7 jours sur 7, conditions d’hygiène insalubres…"

Les athlètes qui participeront aux Jeux olympiques de Pékin auront-ils la latitude nécessaire pour critiquer sans ambages le gouvernement chinois?

"En France, il y a eu quelques athlètes, en particulier David Douillet, un ancien champion olympique de judo, et le perchiste Romain Mesnil, qui ont essayé de tenter quelque chose en arborant un badge sur leur maillot sur lequel était inscrit: "Pour un monde meilleur". Mais le port de ce badge a rapidement été interdit par le Comité olympique français sous la pression du CIO. Pour l’instant, cette affaire a été complètement enfouie. Par contre, le CIO en a rajouté en allant plus loin que le Parti communiste chinois et le Comité d’organisation des Jeux olympiques de Pékin. Il a pris des mesures pour museler les athlètes durant leur séjour à Pékin. À cet effet, le CIO a émis un communiqué de presse qui va beaucoup plus loin que la Charte olympique, où il dicte carrément la conduite à suivre aux participants à ces Jeux olympiques. Les athlètes deviennent des otages volontaires condamnés au silence, parqués dans le village olympique. Ce n’est pas simplement le Parti communiste chinois qui verrouille la liberté d’expression, le CIO va encore plus loin."

Le Livre noir des Jeux olympiques de Pékin. Pourquoi il faut boycotter les Jeux de la honte
de Fabien Ollier et Marc Perelman
City Éditions, 2008, 303 p.