Michel G. Desjardins : La culture, ils s’en foutent
En 30 ans de carrière, Michel G. Desjardins n’a jamais vu ça. Le directeur général de l’INIS et ex-producteur a beau être un homme de communication, il digère mal la politique de compressions du gouvernement conservateur, qu’il juge incohérent et de mauvaise foi.
Pondéré, Michel G. Desjardins n’a pas pour habitude de sortir de ses gonds. L’homme a démarré sa carrière en communication, domaine dans lequel il excelle visiblement encore aujourd’hui, à la barre de l’Institut national de l’image et du son (INIS). Parfaitement à l’aise et le regard franc, il évoque sans sourciller les récentes compressions budgétaires dont l’INIS fera les frais au printemps 2009. Presque un million de dollars, le quart du budget de l’école. "Évidemment, ça a un effet. D’abord parce qu’il s’agit d’argent rentable. Ensuite, à plus long terme, parce que ça risque d’avoir une incidence sur le reste des contributions."
Mais à mesure que la discussion avance, les gestes se font plus vifs et l’exaspération perce. "Que peut-on attendre d’un gouvernement qui s’emploie à détruire une province entière pour répondre aux besoins en pétrole des États-Unis?", finit-il par lâcher. "Les conservateurs souhaitent clairement instaurer un système équivalent à celui de nos voisins du sud en matière de culture. Mais c’est oublier un peu vite que les conditions économiques et démographiques n’ont rien en commun. L’industrie américaine est soutenue par des lobbys et des mécènes puissants. Ici, si les gouvernements cessent de soutenir la formation, c’est l’avenir de la production tout entière qui est en péril."
Le directeur général de l’INIS sait de quoi il retourne. L’homme a roulé sa bosse pendant plus de 15 ans dans le domaine de la production avant d’accepter, il y a deux ans, "au lieu de partir à la retraite", de prendre les rênes de l’organisme chargé de veiller à la formation continue des artistes et artisans de l’industrie. "Par conviction", tient-il à préciser. Et d’exhiber fièrement la statue grandeur nature qui trône dans son bureau, seul accroc au style immaculé du lieu: un souvenir du film américain La Momie, tourné à Montréal. "Si nous avons su attirer les tournages étrangers, c’est grâce au talent de nos artisans, et le talent, ça se travaille, continuellement. En ce sens, je considère notre mission très noble. Si nous devons perdre quelques mois de formation, qui sait si nous ne passerons pas à côté d’un Mozart."
Et qu’on ne vienne pas lui parler de performance. Lorsqu’il s’agit de défendre sa cause, l’idéaliste redevient patron d’entreprise: "L’argument avancé par le gouvernement ne tient pas la route. Une firme indépendante a jugé de la non-pertinence de nos programmes sur une base obscure, alors que nous rendons compte chaque année de la bonne santé financière de l’INIS. On ne peut pas juger de l’efficacité de nos formations comme on juge un quelconque produit. Mais s’il faut vraiment parler en termes de performance, je dirais que nous faisons le maximum avec l’argent que nous avons, et même au-delà." Et de rappeler que l’école, de par sa nature, n’a pas droit à l’erreur. "L’institut, ce n’est pas l’université. Nous nous devons de vérifier tous les jours la pertinence de nos formations, parce que nous travaillons pour, et avec l’industrie. Si nous ne sommes pas à la hauteur des attentes, c’est fini pour nous."
Une "bombe à fragmentation", c’est en ces termes que Michel G. Desjardins qualifie l’annonce du gouvernement, dans laquelle il voit bien plus qu’un manque de vision, une aberration, et la suite logique d’un lent désengagement. "On nous a prévenus de manière cavalière, un par un, sans que ça fasse l’objet d’aucun communiqué." Pour seule explication, raconte-t-il, l’INIS s’est fait dire que les coupes découlaient d’un changement de priorités. "La culture, ils s’en foutent. Quand on sait, au-delà de ce que représente en termes de rayonnement culturel la création dans ce secteur, que l’industrie apporte des milliards de dollars par an à l’économie québécoise, on comprend mal pourquoi ce gouvernement a cessé de soutenir le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec", ajoute celui qui siège par ailleurs au comité de développement économique de la Ville de Montréal.
La réponse timide de la ministre du Patrimoine, Josée Verner, dans le journal La Presse, n’a pas eu l’heur de convaincre le directeur général. "Pour se défendre, la ministre évoque le recours possible à d’autres programmes de subvention. J’aimerais comprendre pourquoi, si l’institut n’est pas jugé assez rentable pour recevoir des fonds d’un bord, il le serait d’un autre." Ce n’est sans doute pas un hasard si la contre-attaque de la partie adverse a été lancée à l’INIS. En conférence de presse vendredi dernier dans les locaux de l’institut, Denis Coderre, porte-parole libéral chargé du patrimoine, sonnait la charge, rappelant que le Fonds canadien de télévision pourrait être la prochaine victime des réductions budgétaires de la part des conservateurs. Pragmatique, Michel G. Desjardins a joué le jeu "parce que l’INIS représente une référence concrète pour les gens, contrairement aux programmes, intangibles". Et d’ajouter quand même, rapidement: "Denis Coderre est l’homme de toutes les causes justes".
Les liens avec Québec sont étroits et ne datent pas d’hier, dit-il. "Nous sommes toujours en contact avec le cabinet de la ministre québécoise de la Culture, Christine St-Pierre. C’est important pour nous de savoir que le gouvernement du Québec ne remet aucunement en question notre pertinence." Ce qui n’empêchera pas l’homme d’action, tel qu’il se définit lui-même, de prendre part à toutes les initiatives qui seront conduites afin de trouver une solution au problème. Avec doigté: "J’ai confiance en les fonctionnaires; ce sont des gens dont on peut facilement révéler l’enthousiasme".
L’INIS EN BREF
L’Institut national de l’image et du son (INIS) a été fondé en 1996. Sa création résulte d’une recommandation de la Commission d’étude sur le cinéma et l’audiovisuel, alors présidée par Guy Fournier, et datant de 1982.
Il offre depuis des programmes de formation dont la pédagogie est basée sur la pratique et la compréhension des réalités professionnelles des milieux du cinéma, de la télévision et du jeu vidéo. L’INIS offre notamment un programme de formation en médias interactifs depuis 2002 et en divertissement électronique, en lien étroit avec Ubisoft, depuis 2003.
L’institut forme chaque année de 300 à 400 étudiants, issus de l’université ou professionnels. Quatre-vingts pour cent d’entre eux sont intégrés au marché du travail à leur sortie de l’école. De nombreux anciens élèves se sont démarqués par la suite, parmi lesquels Anaïs Barbeau-Lavalette, réalisatrice du film Le Ring, ou encore Frédéric Ouellet, auteur des téléséries Grande Ourse et L’Héritière de Grande Ourse.
L’INIS est financé à 25 % par le gouvernement fédéral, à 25 % par le provincial. Le reste du budget provient de partenaires privés et de l’industrie. La part du fédéral (900 000 $) devrait disparaître avec la suppression du Programme national de formation dans le secteur du film et de la vidéo (PNFSFV: 2,5 millions $ en tout), prévue pour mai 2009.
En réaction à l’annonce du gouvernement fédéral, un groupe Facebook a été lancé par d’anciens étudiants de l’école dans le but de faire connaître leur mécontentement et de permettre à l’information de circuler sur Internet, sous l’intitulé: "Défaire l’INIS, une initiative de Patrimoine Canada". Il compte pour l’heure 890 membres.