Patrick Moreau / Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants : L’école des ânes
Aujourd’hui, le système d’éducation québécois est "une machine à produire des enfants ignorants", soutient un enseignant échaudé, Patrick Moreau, dans un livre-pamphlet vitriolique. Une radioscopie décapante de l’univers désarçonné dans lequel baignent nos enfants!
Voir: D’après vous, le système d’éducation québécois est un échec patent.
Patrick Moreau: "J’ai écrit ce livre sous le coup d’une certaine colère. Je suis offusqué par les incohérences qui existent entre le secondaire et le cégep et par les écarts énormes qu’il y a entre les élèves les plus faibles et les meilleurs élèves. En tant que professeur de français au niveau collégial, j’éprouve à chaque nouvelle année scolaire le sentiment étrange de ne plus pouvoir enseigner, du moins correctement, parce que la majorité des élèves qui arrivent dans mes cours sont si mal préparés qu’il se révèle tout bonnement impossible de leur apprendre à lire et à analyser un texte littéraire, puis à rendre compte de cette analyse dans un texte argumenté, ainsi que nous l’impose un devis ministériel contesté."
Selon vous, on accorde le diplôme de fin d’études secondaires (DES) à beaucoup de jeunes qui ne le méritent pas.
"Si on discerne assez bien ce que les élèves qui arrivent au cégep n’ont pas appris, il est en revanche beaucoup plus difficile de saisir ce qu’ils sont censés savoir à leur âge et à leur niveau de scolarité, entre autres parce que l’obtention du DES ne sanctionne l’atteinte d’aucun niveau scolaire aisément identifiable et parce que ce diplôme est accordé avec une scandaleuse libéralité à des jeunes qui parfois ne lisent que difficilement et, trop souvent, ne maîtrisent pas même minimalement le maniement de la langue française écrite. Et c’est sans parler des connaissances qui leur ont présumément été transmises, mais dont ils ne possèdent généralement pas le début. "Adolf Éclair", m’a écrit, par exemple, une élève dans un travail pour désigner vous savez qui…"
La plus grande faiblesse des élèves québécois est leur médiocre connaissance de la langue française?
"Au nombre des maux dont souffre l’école, il y a bien entendu – et peut-être mérite-t-il de figurer en première place – celui de la médiocre qualité du français écrit et aussi parlé, tel qu’il est enseigné aujourd’hui dans nos établissements scolaires. Cette pratique pour le moins déficiente de la langue écrite, mais aussi orale – j’insiste sur ce point, car on a tendance à l’oublier -, est une douloureuse évidence pour qui fréquente de jeunes Québécois d’âge scolaire. C’est aussi une entrave – tant elle rend difficiles la lecture et l’élaboration d’un discours cohérent – au développement de la pensée."
N’êtes-vous pas très sévère quand vous affirmez qu’une majorité de cégépiens sont des "ignorants". Je suppose qu’il y a des cégépiens qui sont aussi très brillants?
"C’est indéniable. Il y a des élèves qui sont très cultivés et qui lisent beaucoup de livres. Il y a trois ans, j’ai eu un élève très brillant qui lisait Proust à 17 ans. Bravo! Mais le problème, c’est qu’il y en a de moins en moins. Il y a toujours une part de subjectivité là-dedans; c’est difficile à mesurer ce paramètre de façon claire. Il y a quelques années, sur une classe de quarante élèves, il y avait toujours cinq ou six élèves en sciences humaines qui lisaient de l’histoire, un peu de philo, qui s’intéressaient au monde des idées… Aujourd’hui, malheureusement, j’en ai qu’un ou deux."
Un élève nul en français peut quand même exceller en mathématiques ou en science?
"Il ne faudrait surtout pas accréditer l’idée trop communément partagée que tous les maux de l’école québécoise découlent de la seule norme linguistique. C’est au contraire l’enseignement de celle-ci qui pâtit d’un laxisme qu’on retrouve à bien des niveaux dans l’enseignement des matières. N’allons pas croire un peu naïvement que s’ils ont des difficultés en orthographe et en grammaire, matières sur lesquelles se concentrent traditionnellement l’attention des médias et les velléités de réforme des locataires successifs du ministère de l’Éducation du Québec, nos élèves excellent en revanche en mathématiques, en géographie ou en histoire! Nous devrions alors réviser notre jugement au prix d’une lourde déception. Car les causes, que j’oserai qualifier de "systémiques", qui pèsent sur la performance en français entraînent bien évidemment les mêmes conséquences dans ces autres matières."
Selon vous, l’utilisation de l’Internet à des fins éducatives appauvrit intellectuellement un élève. Pourquoi?
"Le recours à l’Internet et à ses moteurs de recherche empêtre les jeunes dans un univers virtuel fallacieux, où l’illusion prédomine. Faire de la recherche sur Google, couper et coller des morceaux de textes d’une manière effrénée, c’est simplement un leurre! Pour faire de la recherche, il faut avoir une méthode de recherche, une capacité à discriminer l’information… Il me semble qu’Internet a lancé l’idée, autant chez les professeurs que chez les élèves, que tout est disponible instantanément, donc qu’il y a désormais une sorte d’accès direct à l’information, donc au savoir. C’est faux, c’est absurde! Un étudiant doit être capable de trouver une information, de la valider…"
Pour vous, la dernière réforme éducative est un cuisant échec.
"Absolument. La dernière réforme du renouveau pédagogique, initiée par Pauline Marois, a encore enfoncé le clou d’une mise en place plus idéologique que pragmatique pour l’éducation. Je ne crois pas qu’un enfant puisse apprendre en jouant. Je crois qu’il faut nécessairement qu’à un moment donné l’élève fasse un effort. Il faut faire du par coeur, il faut apprendre des choses… Les tendances pédagogiques actuelles ont pour but d’aider l’élève à intégrer doucement des connaissances sans qu’il y ait de sa part un effort particulier, sans que ce dernier s’en rende compte. Ça me paraît profondément absurde. C’est une utopie du 18e siècle qui n’a jamais fait ses preuves. Je crois qu’il est temps de revenir à des méthodes pédagogiques qui, elles, ont fait leurs preuves. Par exemple, revenir à quelque chose de tout bête: la dictée. On pousse des hauts cris dès qu’on prononce le mot dictée. Or, c’est une bonne méthode, un bon exercice, rarement pratiqué par les petits Québécois."
Selon vous, aujourd’hui, les élèves québécois vivent dans un monde totalement irréel, car ils sont incapables d’envisager lucidement un échec.
"Pour éviter le problème du décrochage scolaire, on veut que les enfants se retrouvent dans un cocon jusqu’au cégep. On les materne d’une façon qui est un peu choquante. Alors qu’ils ont 17, 18 ou 20 ans, on continue à les materner comme des bambins qui sont à la maternelle. Au primaire surtout, on crée tout un environnement très fraternisant. Personnellement, je reste persuadé que ces jeunes-là ne sont jamais confrontés à des défis scolaires ou intellectuels. Ça les fragilise considérablement. On rencontre de plus en plus d’élèves qui sont totalement désarmés face à l’échec et qui, d’ailleurs, n’y croient pas. Jusqu’au bout, ils ont du mal à envisager la possibilité d’un échec. Dès qu’on annonce à un élève qu’il va échouer son cours, il s’effondre, car il ne croit pas à la possibilité d’un échec."
Vous préconisez un retour aux anciennes méthodes d’éducation.
"J’imagine mal des collègues qui viendraient soutenir de bonne foi que nos élèves écrivent majoritairement bien le français. Leur style est pauvre; leur vocabulaire est pauvre; leur orthographe est déplorable… Je pense qu’on est tous d’accord là-dessus. Personnellement, je pense que le système scolaire peut faire beaucoup mieux que ça avec plus de rigueur. Il faut s’attaquer à ce grave problème avec beaucoup plus de sérieux dès le primaire. Il faut mettre en oeuvre une réforme éducative en profondeur, basée sur un enseignement vraiment systématique de la grammaire, de l’orthographe, de la conjugaison. À l’heure actuelle, quand je vois les programmes scolaires du primaire, j’ai l’impression qu’on nage dans une superficialité tous azimuts. Chaque année, les enfants apprennent un peu les temps des verbes, un petit peu les adjectifs… Mais, dans le fond, d’une année à l’autre, l’enfant a complètement oublié ce qu’il a appris l’année précédente. Il revoit tout ça par des sortes d’ondes qui reviennent régulièrement. C’est pour cette raison que la majorité des élèves du primaire ne maîtrisent pas la plupart des règles grammaticales qu’ils sont supposés avoir apprises et qu’ils devraient maîtriser. Au secondaire, on n’en parle plus; apparemment, on passe à autre chose. Au cégep, on se retrouve à reprendre le primaire en partie; il faut réexpliquer aux élèves l’accord du participe passé, ce qui est tout à fait déprimant pour ceux qui s’en souviennent et le maîtrisent. Des jeunes de 17, 18 ans ne maîtrisent pas à 100 % les temps des verbes, en particulier le passé simple. Ils font des erreurs grossières quand ils doivent identifier et conjuguer des temps de verbes simples. Ils mélangent le subjonctif et le présent… S’ils avaient appris tout ça quand ils étaient au primaire, d’une façon vraiment stricte, avec des examens et un apprentissage systématique, ils s’en souviendraient aujourd’hui."
Ce problème a-t-il des conséquences délétères sur le plan social?
"Ce problème récurrent débouche sur une interrogation politique. Je ne vois pas comment on peut faire des citoyens un peu conscients avec des jeunes qui ont une ignorance assez phénoménale de leur histoire – parfois de l’histoire récente – et de la société dans laquelle ils vivent. Abolir les cours de philosophie, ce serait une catastrophe! La réponse politique à ce genre de problème, c’est souvent le retour aux matières de base. "Arrêtez d’enseigner la littérature; lisez les articles de journaux; faites du travail de lecture, d’écriture…", suggèrent les grands bonzes qui nous gouvernent. C’est renoncer, à tort, à ce qu’on est capable de faire avec ces jeunes. Dans la pratique, même au cégep, on est enclin à choisir des textes qui vont plaire, des textes populistes, au détriment des textes importants. Si on avait des élèves mieux préparés au primaire et au secondaire, le cégep pourrait faire un meilleur travail."
Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants
de Patrick J. Moreau
Éd. du Boréal, 2008, 128 p.
En librairie le 3 septembre.