Maya Angelou : L'oiseau hors de sa cage
Société

Maya Angelou : L’oiseau hors de sa cage

Alors que les paris sont ouverts sur les chances du démocrate Barack Obama d’accéder à la présidence des États-Unis paraît Tant que je serai noire, de Maya Angelou, récit autobiographique d’un monstre sacré des lettres américaines et de la lutte pour les droits civiques des Africains-Américains.

"Bonjour, vous allez bien?" de me dire simplement, d’une voix jeune et assurée le monstre sacré à l’autre bout du fil. Jointe à son bureau de l’université Wake Forest (Caroline du Nord), le Docteur Maya Angelou serait en droit de se la jouer – avec tout le protocole imposé par sa garde rapprochée, je m’y attendais presque. Mais non. À 80 ans bien sonnés, cette légende vivante des lettres américaines, de la lutte pour les droits civiques de Noirs et du féminisme n’a rien d’une diva. Notre entretien se déroule dans un climat cordial et d’autant plus réjouissant qu’il s’agit pour moi d’une audience avec une figure quasi-tutélaire: pour un Noir comme moi transplanté bébé dans un milieu essentiellement blanc, la lecture de Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage d’Angelou avait constitué une étape clé de la construction identitaire.

Certes, la vie de Maya Angelou a des allures d’odyssée. Née Marguerite Anne Johnson à St. Louis, Missouri, en 1928, victime de viol à 7 ans, elle a traversé le siècle dernier en femme de la perpétuelle renaissance: d’abord chanteuse, danseuse et comédienne, bientôt poète, dramaturge et activiste, puis journaliste, éditrice, réalisatrice et professeure-conférencière des plus courues. Paru initialement en 1981, The Heart of a Woman (le Docteur A, polyglotte, convient avec moi que le titre français n’est pas tout à fait heureux), le quatrième des six volumes de sa monumentale autobiographie débute au moment de sa venue à New York, à la fin des années 50. "New York, à cette époque, était fantastique, vivante et très animée. C’était une ville pleine d’ambitions, de promesses, une ville tout allumée par la présence des Nations-Unies, par l’arrivée massive d’Africains, par Martin Luther King et Malcolm X."

"WE SHALL OVERCOME"

Dans ce climat d’ébullition sociale, la jeune chanteuse de cabaret, qui a tourné en Europe dans une production de Porgy and Bess et déjà croisé sur sa route l’icône Billie Holiday ainsi que la chorégraphe Martha Graham, s’intéresse de plus en plus à l’écriture et se joint à la Harlem Writers Guild. "J’ai écrit ma première pièce, Cabaret for Freedom (en collaboration avec Geoffrey Cambridge), dans le but d’amasser des fonds pour le mouvement des droits civiques. C’est à ce moment que le coordonnateur du chapitre nord de la Southern Christian Leadership Conference (présidée par Luther King) m’a proposé de lui succéder. J’avais l’énergie et la volonté de m’engager dans la lutte." Pour la comédienne qui venait de jouer off-Broadway dans Les Nègres, de Jean Genêt, cet engagement ne signifiait en aucun cas une renonciation à la carrière artistique. "Tout ça revenait au même. Ce qui m’importait, c’était de m’élever en faveur de ce qui était juste et bien. Chanter, danser, écrire, ces activités étaient des véhicules différents que j’empruntais pour progresser sur une même voie."

Inévitablement, l’amour se pointe en 1960 où Angelou fait la connaissance et s’éprend du Sud-Africain Vusumzi Make, compagnon d’armes d’un jeune Nelson Mandela dans sa lutte contre l’apartheid, qui deviendra brièvement son deuxième mari et qu’elle suivra au Caire, un personnage un brin machiste selon le récit. "Oh, c’était un mâle africain typique de l’époque, rigole l’auteure. Il me respectait, il tolérait que je travaille, que je sois indépendante et autonome. Ces hommes luttaient pour obtenir la liberté et l’égalité des droits pour eux, mais je crois qu’ils ne s’étaient pas arrêtés à penser que ce qui vaudrait pour eux vaudrait forcément pour les femmes aussi. Ils avaient une culture autoritaire. Vu était un avocat brillant, un homme du monde; mais quand il s’adressait à son père, il était tenu de l’appeler "Père". J’ai élevé mon fils seule, pratiquement, mais je lui ai inculqué l’idée qu’il avait toujours le droit de questionner mes décisions le concernant, le droit de me demander pourquoi. J’étais l’adulte, à moi donc de le convaincre du bien-fondé de mes décisions."

Oui car, parallèlement à la chronique d’une époque de militantisme et de création intenses, Tant que je serai noire esquisse l’autoportrait de l’auteure en mère-célibataire d’un garçon, Guy, qu’elle a eu à l’adolescence. Quand je lui demande ce qu’elle considère comme le plus grand défi pour une jeune femme noire d’élever seule son enfant, Angelou répond du tac au tac: "J’ai tellement craint pour lui, tellement redouté qu’il ne puisse grandir sans être marqué par de profondes cicatrices. Le plus grand défi, ç’a été de lui rappeler constamment qu’il devait apprendre à se défendre sans pour autant devenir une brute, sans laisser la colère et la déception dominer sa vie. Vous savez, mon fils est un colosse: plus de deux mètres et cent kilos. Mais ce que je dis pour les mères noires, au fond, vaut également pour les mères blanches et toutes les mères. Il y a des femmes seules avec trois enfants à élever et pas de quoi se payer une maison, qui doivent vivre dans les rues. Les grands défis, c’est pour tout le monde."

"I HAVE A DREAM"

La militante, qui a côtoyé Martin Luther King, Malcolm X et l’écrivain James Baldwin, ne désespère pas de la situation de ses soeurs et frères africains-américains. "Nous avons connu des gains et aussi des pertes et des deuils. Et pourtant, il faut voir le chemin parcouru. Les Africains-Américains sont désormais présents dans toutes les sphères d’activité. Dans le monde des affaires, sur tous les conseils d’administration, à la NASA, dans le monde de la recherche scientifique, partout, nous sommes représentés. Et il a fallu lutter pour cela, c’est certain. Parce qu’on ne nous a jamais dit que nous étions les bienvenus."

Certes, impossible d’aborder les conditions de vie de la communauté noire américaine sans évoquer la figure de Barack Obama, l’incarnation du rêve de Luther King. Même s’il n’était pas le premier choix d’Angelou (au contraire de sa fille-soeur-amie-pupille Oprah Winfrey, elle soutenait Hilary Clinton), l’écrivaine semblait néanmoins enthousiaste de son triomphe. "Ce qui se passe est à la fois fascinant et étonnant. Il fallait vraiment écouter tous ces hommages à Obama, le soir de l’investiture. Surtout l’extraordinaire discours de Bill Clinton. J’ai pleuré et ri, ri et pleuré tout au long de son discours." Certes, mais compte tenu des attaques virulentes de son épouse contre Obama durant la campagne à l’investiture (reprises dans les publicités de l’équipe McCain), doit-on croire les éloges de Clinton au rival d’Hilary? "Bien sûr qu’il était sincère! Je les connais très bien, Hilary et lui. J’ai écrit en son honneur le poème On the Pulse of Morning que j’ai lu à son inauguration", me rappelle la poète, fidèle au clan de son ex-président.

Cela dit, Obama entrera-t-il ou pas à la Maison-Blanche le 4 novembre? "Je crois vraiment qu’il va gagner. Et pas juste avec le vote des Africains-Américains, qui ne représentent après tout qu’environ 12 % de la population. Obama va rallier les autres, et c’est ce qui me semble si extraordinaire." Et qu’en diraient, selon elle, Martin Luther King et Malcolm X? "L’un comme l’autre, ils diraient: je vous l’avais dit que nous pouvions le faire, que nous pouvions nous rendre jusque là!" répond Maya Angelou sur un ton presque chantant, celui de l’oiseau envolé de sa cage.

Tant que je serai noire
de Maya Angelou
Éd. Les Allusifs, 2008, 364 p.

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