Pierre Dufour, directeur général de l'Opéra de Montréal : Bête de scène
Société

Pierre Dufour, directeur général de l’Opéra de Montréal : Bête de scène

Pierre Dufour adore fouler les planches, et elles le lui rendent bien. Deux ans après son entrée en fonction à titre de directeur général, l’Opéra de Montréal, alors moribond, annonce des profits. L’homme de théâtre savoure, mais sait rester sur ses gardes.

"Pardon, c’est un peu le bordel". Rien d’ostentatoire dans le bureau de celui qui dirige depuis deux ans l’Opéra de Montréal. Seules les piles de documents qui couvrent la table de travail et la sonnerie incessante du téléphone témoignent de l’importance de la tâche. "C’est un travail d’équipe", précise Pierre Dufour rapidement, comme pour se dédouaner d’une réussite que d’aucuns pourraient juger trop voyante.

La veille, encadré du directeur artistique, Michel Beaulac, et du président du conseil d’administration, Alexandre Taillefer, il annonçait, devant la presse, des bénéfices pour la dernière année d’exercice. Le souvenir du gouffre financier de 1996 est vivace: deux millions de dollars de déficit, épongés en deux fois moins de temps que le plan de redressement ne le laissait envisager, et un surplus de 25 000 $. Une performance qu’il qualifie modestement de "situation historique dans les annales des institutions canadiennes."

Performance et soulagement. À 33 ans, "l’âge du Christ", Pierre Dufour, à l’époque directeur technique et de production, avait dû prendre la décision de fermer le Théâtre populaire du Québec. "Je me suis juré de ne plus avoir à faire ça." Tant pis alors si le plan de redressement doit impliquer des pertes d’emplois. "Je me suis résigné, et l’équipe toute entière avec moi." On est donc passé de 25 à 12 employés, une réduction annuelle des frais de l’ordre de 500 000 $ pour l’Opéra et, dit-il, un effet galvanisateur sur l’effectif restant. "Aujourd’hui, nous sommes tricotés serrés."

L’équipe, encore, soudée autour d’un quatuor de direction quasi interchangeable: "Christine Krebs, directrice des finances et de l’administration, Pierre Vachon, directeur des communications, Alexandre Taillefer et moi, nous partageons le même travail". À tel point que la distinction des rôles devient ardue. Jusqu’à relever du mimétisme. "Pierre et moi, on nous confond souvent: même prénom, même allure, mêmes cheveux blancs." Même penchant aussi pour la communication.

Pierre Dufour aime parler de sa passion de la scène, qu’il a appris à connaître par la porte arrière. Du théâtre, il a exercé tous les métiers, avant d’accéder à la direction de production pour le Théâtre populaire du Québec, le Théâtre du Nouveau Monde ou encore le Théâtre du Rideau Vert. De ces années, l’homme garde une fascination "quasi mystique" pour l’envers du décor et un goût immodéré pour les histoires de marin. "Le lieu est rempli d’histoires et de superstitions. Je ne rate pas une occasion de les partager."

Et tous les prétextes sont bons. Une fois par an, lors des Journées de la culture, il prend le public par la main et l’entraîne dans les coulisses. "C’est aussi là que j’emmène les futurs commanditaires. Dans ce contexte, c’est le directeur de production qui parle, plus que le directeur général." Et Pierre Dufour tient mordicus à conserver sa double fonction, sous peine d’"angoisse". Ce qui explique l’abandon, l’année dernière et à contrecoeur, de son poste d’enseignant. Un sacerdoce qu’il poursuivra en multipliant les fonctions pédagogiques de l’Opéra: ateliers dans les écoles, accès aux répétitions générales et, bientôt, le lancement d’un DVD d’initiation à l’art lyrique.

Drôle d’oiseau. Pierre Dufour avoue trancher auprès de ses pairs internationaux. "Je n’ai pas une grande culture théâtrale. Si vous me récitez un vers de Racine, je serai incapable de vous dire de quelle pièce il est tiré. Mais je suis parfaitement au fait des mécanismes qui régissent le milieu." Pas bégueule, le directeur général n’a pas réfléchi longtemps avant d’accepter de mettre Starmania à l’affiche de la prochaine saison, quitte à faire grincer quelques dents. "C’est une oeuvre majeure du répertoire québécois, et c’est notre mandat de la supporter."

Le directeur général de l’Opéra sait prendre la mesure des attentes créées par l’annonce des derniers bénéfices. "La pression est plus grande aujourd’hui. Quand nous avons lancé le plan de redressement, nous n’avions rien à perdre. On allait droit dans le mur, alors on devait tenter le tout pour le tout. Aujourd’hui, nous devons prouver que les décisions que nous avons prises sont viables à long terme, dans un secteur où un nombre infini de facteurs peuvent enrayer la machine. Rien n’est acquis."