Martin Frigon / Mirages d'un Eldorado : L'or à tout prix
Société

Martin Frigon / Mirages d’un Eldorado : L’or à tout prix

Dans un documentaire très troublant, le cinéaste Martin Frigon nous dévoile âprement une facette hideuse de la mondialisation économique: l’exploitation des ressources naturelles du Chili par des compagnies minières canadiennes.

Voir: Qu’est-ce qui vous a motivé à consacrer un deuxième documentaire aux compagnies minières canadiennes, opérant cette fois-ci au Chili?

Martin Frigon: "Mirages d’un Eldorado fait suite à Make Money. Salut, bonsoir!, un documentaire, que j’ai réalisé en 2004, qui dénonçait les impacts délétères du passage de la compagnie minière Noranda dans la communauté de Murdochville, en Gaspésie. Ayant grandi en Gaspésie, j’ai toujours été très préoccupé par la question des régions dites "ressources". Dans ces terroirs très vulnérables, le développement est articulé autour de trois pôles de survivance: la forêt, les mines et la pêche. Lors du tournage de Make Money. Salut, bonsoir!, j’ai appris que la Noranda allait relocaliser sa fonderie dans le nord du Chili. Dès lors, une suite à ce film s’imposait. J’ai décidé alors de prolonger mon regard critique sur la question minière vers le Sud et d’examiner, en amont, les étapes qui mènent au développement d’un projet minier."

Ce film est un réquisitoire vitriolique contre le Canada et ses compagnies minières?

"Ce documentaire nous amène au coeur de la Cordillère des Andes du Chili, où des communautés s’opposent fougueusement aux compagnies minières canadiennes exploitant les sols de cette région, parmi lesquelles la firme Barrick Gold avec son projet Pascua Lama. Mirages d’un Eldorado dénonce cette tentative déguisée du Canada et de ses compagnies minières de faire main basse sur le plus gros gisement d’or de la planète, à plus de 4 000 mètres d’altitude, à même les glaciers millénaires qui alimentent en eau les communautés agricoles du cône Sud."

Pourquoi avez-vous été obligé de tourner ce film en catimini?

"Incapable d’obtenir de ces compagnies minières canadiennes l’autorisation de visiter leurs installations afin d’en mesurer tangiblement leurs impacts environnementaux, j’ai été contraint d’effectuer un voyage de quatre jours à cheval sur le territoire exploité, grâce à la complicité des protagonistes de ce film."

Selon vous, les compagnies minières canadiennes établies au Chili sont en train de "dilapider d’une manière éhontée" les glaciers situés dans la Cordillère des Andes.

"Ces compagnies minières utilisent sans ambages du cyanure pour explorer les sols. Les perforations faites dans les rochers assèchent les rivières. Ces compagnies prétendent que ces grands glaciers auraient fondu en raison du réchauffement de la planète. C’est totalement faux! La direction générale des Eaux du Chili, qui est une branche du ministère des travaux publics chiliens, a rendu publique, en 2006, une étude qui démontre hors de tout doute que les trois glaciers dans la zone immédiate de l’exploitation du projet Pascua Lama ont perdu de 50 % à 70 % de leur masse totale. Cette étude a prouvé que les glaciers situés plus loin de la zone immédiate de cette mine n’ont perdu en moyenne que 14 % de leur masse totale. La démonstration a été faite que l’exploitation minière dans cette région du Chili a des conséquences désastreuses sur le plan environnemental. Il est difficile de nier la valeur scientifique de cette étude gouvernementale."

D’après vous, le Canada, qui est le leader mondial de l’industrie minière, devrait par conséquent inspirer au monde entier des pratiques exemplaires dans le domaine minier.

"Soixante pour cent des compagnies minières dans le monde sont inscrites à la Bourse de Toronto, ce qui en fait de facto des sociétés canadiennes obligées de répondre aux lois du pays en la matière. Cela charge le Canada et ses compagnies minières d’un devoir de responsabilité immense en ce qui concerne la promotion d’un modèle de développement caractérisé par des pratiques et des comportements responsables sur les plans sociaux et environnementaux. Toutefois, un examen attentif de la situation nous révèle que les élus d’Ottawa, plutôt que de s’engager sur les voies d’une pratique exemplaire en la matière, ont tout fait pour neutraliser l’État de droit canadien. Conséquence: les compagnies minières du monde entier s’inscrivent à la Bourse de Toronto afin de pouvoir agir sans entraves et en toute impunité à l’extérieur des frontières canadiennes. Le Canada est devenu un véritable paradis judiciaire pour les compagnies minières du monde entier. Dorénavant, il est impossible à partir du Canada de poursuivre au criminel les minières incorporées au Canada responsables de désastres environnementaux, de pillage ou de corruption à l’extérieur des frontières canadiennes."

Mais tout n’est pas noir dans cette histoire. Ces compagnies minières canadiennes établies au Chili ne créent-elles pas aussi de nombreux emplois dans des régions très défavorisées sur le plan socio-économique?

"Au Chili, il y a eu ces dernières années une augmentation considérable de la production de cuivre, d’argent et d’or. Mais, parallèlement, il y a eu moins d’entrées d’argent pour l’État chilien. D’un point de vue économique, ces exploitations minières ne sont pas intéressantes pour le Chili. Si je faisais partie de la grande famille politique canadienne, je vous dirais que c’est une bonne affaire économique. Mais, au Chili, on constate avec amertume que c’est un échec total. D’après des économistes chiliens chevronnés, les emplois dans le secteur minier national ont décru ces dernières années d’environ 30 %.

Croyez-vous que l’opinion publique canadienne peut exercer des pressions sur le gouvernement d’Ottawa pour qu’il renforce les réglementations ayant trait aux compagnies minières canadiennes oeuvrant à l’étranger?

"Sans le moindre doute. Des ONG et des organisations canadiennes défendant les droits bafoués de certaines communautés en Amérique latine et en Afrique ont, dans le passé, pressionné le ministère du Commerce extérieur et des Affaires étrangères du Canada pour qu’il contraigne le gouvernement d’Ottawa à prendre des mesures pour contrôler plus étroitement les compagnies canadiennes opérant à l’étranger. Malheureusement, ces démarches ponctuelles sont restées lettre morte. Il n’y a eu qu’une multiplication de codes de conduite volontaires. On se retrouve aujourd’hui à la case départ. Il faut revenir à la charge, d’autant plus qu’on est en pleine campagne électorale au niveau fédéral."

Mirages d’un Eldorado
de Martin Frigon
En salle le 3 octobre